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La clim’ met-elle en péril le réseau électrique ?
jeudi, 8 juillet 2010 / Julien Kostrèche

On consomme moins d’électricité l’été que l’hiver. Ce qui n’empêche pas les pics de consommation dès que le mercure monte. A force de vouloir refroidir nos intérieurs va-t-on risquer la surchauffe du réseau ?

Jusqu’à preuve du contraire, la consommation électrique du pays baisse en même temps que l’activité économique, grandes vacances obligent. En période estivale, il fait aussi nuit plus tard, l’éclairage public s’en retrouve réduit. Et il est rare sous nos latitudes d’être obligé de remettre le chauffage en marche un 15 août, même lorsqu’on habite Aurillac ou dans le Doubs. Pourtant, dès que le thermomètre s’affole, la France connait des pics de consommation que l’on surveille de très près depuis l’épisode caniculaire de l’été 2003.

On connaît bien la ritournelle des pics de consommation électrique qu’on ressort à chaque vague de froid et qui fait trembler les radiateurs dans les chaumières l’hiver. Va-t-il falloir s’habituer aussi aux pics de consommation consécutifs aux fortes chaleurs de l’été ? Toujours plus hauts et nombreux, ces pics font tourner des centrales à fioul (françaises ou étrangères) qui viennent en renfort au parc nucléaire hexagonal pour servir tout le monde en électricité, avec les conséquences que l’on sait en terme d’émissions de CO2.

Les leçons de la canicule

Selon un rapport du Sénat [1], « La canicule exceptionnelle qu’a connue notre pays [en 2003] a entraîné une augmentation de 5 à 10% de la consommation d’électricité, les fortes chaleurs obligeant à « fabriquer plus de froid » : les réfrigérateurs, congélateurs, climatiseurs, ventilateurs et instruments industriels de refroidissement ont été en effet pleinement sollicités. » . Et les rapporteurs de poursuivre : « pour chaque degré de température au-dessus de 25 degrés, la France consomme environ 250 à 300 mégawatts supplémentaires, ce qui représente grosso modo la consommation de la ville de Nantes ». A chaque fois que l’on passe un petit degré au-dessus des “normales saisonnières”, comme dit Evelyne Dhéliat, c’est donc l’équivalent de la consommation d’une ville de 300 000 habitants qui s’enclenche. Imaginez quand le thermomètre affiche 35°C.

Cette estimation a même été réévaluée à la hausse depuis par RTE qui dans un rapport estime « qu’à la pointe de consommation journalière vers 13h00, 1°C supplémentaire de température induit une augmentation de la consommation d’environ 450 mégawatts ». Si l’hiver, la pointe journalière intervient vers 19h, l’heure où la majorité des Français sont rentrés à la maison et ont remis en route radiateurs, éclairages, télévision, ordinateur, four ou plaques électriques, l’été, c’est plutôt vers 13h que la pointe est observée, à la pause dej’, lorsque qu’on vient chercher un peu de fraîcheur chez soi et que la clim’ ou le ventilo tournent encore au boulot.

Le climatiseur dans le collimateur

C’est pas compliqué, suffit de se passer de la clim’ diront certains. Après tout, comme le téléphone portable, on vivait très bien sans, avant. Sauf que, les systèmes de climatisation, de réfrigération ou de ventilation sont devenus indispensables ou obligatoires dans certains secteurs industriels (alimentaire par exemple, pour ne pas briser la chaîne du froid) ou tertiaires (le milieu hospitalier notamment, ou les salles de serveurs informatiques). Et du côté des entreprises ou des particuliers, c’est aussi la ruée vers la clim’. Il s’est vendu 331 782 climatiseurs individuels en 2009 estime Clim’Info qui regroupe les données des principaux constructeurs.

Le marché était un peu morose l’année dernière mais il affiche une belle santé depuis 2002 avec une croissance moyenne de 8% par an, due aux ventes record consécutives aux coups de chaud des étés 2003 et 2006. Et encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des climatiseurs mobiles, d’appoint ou sur roulettes, arrivés par containers entiers d’Asie pendant la canicule, et dont les professionnels du secteur ont renoncé à dresser l’inventaire. Côté ventilation, le marché se porte pas mal non plus avec plus d’un million d’unités [2] vendues en 2009 selon Uniclima, le syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques.

Des chiffres qui auraient de quoi faire souffler (de découragement) Thierry Salomon, président de l’association Negawatt, et co-auteur d’un petit guide Fraicheur Sans Clim’ (paru aux éditions Terre Vivante). « Avec la climatisation, on observe des comportements de surconsommation, explique-t-il. En situation de stress thermique, les gens ont tendance à ré-appuyer sur la télécommande pour baisser la température de 28 à 26°C, puis de 26 à 24 °C. Si vous devez rentrer en réunion au boulot dans une salle surchauffée avec 10 autres personnes et un rétroprojecteur en marche, tout le monde va vouloir mettre la clim’ à fond. Sauf que baisser la température de 2°C, c’est doubler la consommation électrique de l’appareil. »

Chauffage contre clim’

Alors que faire ? Le député Serge Poignet et le sénateur Didier Sido, auteurs d’un rapport sur la maîtrise des pointes de consommation d’électricité, listent 22 recommandations. Proposition n°5 : « Lancer un plan de communication sur la fixation du point de consigne du chauffage à 19°C et de la climatisation à 26°C. Engager une démarche d’État exemplaire dans ce domaine pour tous les bâtiments publics ». C’est vrai qu’on sensibilise plus à la consommation raisonnée du chauffage en hiver qu’à celle de la climatisation en été. Mais un plan de com’ suffira-t-il ? « La nouvelle réglementation thermique annoncée il y a deux jours par Borloo ne porte pas sur la notion de confort d’été. On a mis beaucoup d’intelligence pour réduire le chauffage dans les bâtiments neufs basse consommation, mais les gens qui vont les habiter pourrait se précipiter sur la 1ère clim’ venu dès qu’il fait chaud, ce qui risque de réduire à néant tous les efforts réalisés sur le chauffage l’hiver. », estime Thierry Salomon.

Autre piste ? La proposition n°7 du rapport Poignant/Sido : « favoriser l’équipement de chauffages électriques et de climatiseurs neufs par des dispositifs permettant de les couper durant une durée pré-déterminée sur un signal émis par le gestionnaire du réseau de distribution. Rendre progressivement ces dispositifs obligatoires pour les chauffages et les climatiseurs neufs. » En France, Voltalis a mis au point un BluePod qui vous coupe la clim’, le chauffage ou le chauffe-eau automatiquement en cas de pic, et intéresse beaucoup RTE. En attendant que ces technologies se développent, vous pouvez toujours, si vous en avez les moyens, recourir à la géothermie. Pour ne pas que votre maison basse consommation l’hiver ne devienne un four l’été.

- Le rapport du Sénat sur la canicule
- L’analyse de RTE sur l’été 2010
- Le rapport Poignant/Sido sur les pointes de consommation électrique
- Le dossier de Negawatt, "La pointe électrique en France... zéro pointé !"