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L’aveuglement
vendredi, 2 juillet 2010 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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A l’origine, c’était un accident dramatique. Nous voici finalement englués dans une catastrophe industrielle digne de Bhopal, de Tchernobyl ou de Seveso. L’équivalent de 30 « Exxon Valdez » s’est probablement déjà déversé dans le golfe du Mexique. Les conséquences écologiques et humaines de l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon de BP apparaissent, à cette heure, encore incommensurables. Mais, déjà, on relève de cet épisode funeste, les ingrédients d’une forme d’impunité. Il y a, tout d’abord, la tentative d’enfumage de BP. Les premières évaluations fournies par la compagnie pétrolière estimaient la fuite à 5 000 barils de pétrole par jour. Après deux mois de controverses scientifiques et techniques, l’administration américaine a finalement porté cette estimation à 60 000 barils quotidiens. L’équivalent d’un « Exxon Valdez » tous les quatre jours.

Il y a, ensuite, les calculs à court terme et les malversations. Plusieurs témoignages de techniciens font état de choix contestables en matière de sécurité sur l’autel d’une rentabilité maximale. Dans le même temps, les preuves de corruption des équipes du Minerals Management Service (MMS), agence fédérale chargée de réguler le forage en mer, s’entassent.

Il y a, enfin, l’entrave à la liberté d’informer. Plusieurs semaines après la déclaration du sinistre, les journalistes présents sur les côtes du golfe du Mexique continuaient de dresser la liste des intimidations, amendes, prises à partie dont ils étaient l’objet quotidiennement, du fait d’autorités locales plus promptes à contrôler le flux d’information que le flot de la marée noire.

En résumé, dans le golfe du Mexique, c’est bel et bien « Big Oil » qui est aux commandes, agissant avec approximation et en relative impunité. Loin des drames de la Louisiane, ou encore du delta du Niger, c’est pourtant ce même « Big Oil » qui nous promet à longueur de spots télévisés de nous emmener vers le monde enchanteur des énergies durables.

Avec Deepwater, le rideau tombe sur les méthodes ordinaires d’une industrie pétrolière toute puissante, mais aussi – et c’est encore plus malheureux – sur notre tendance collective à confondre technologie et progrès. « Il faudrait (…) s’arrêter un peu, s’asseoir, faire silence, réfléchir, et pas seulement sur les conséquences de l’aveuglement qui a cours aujourd’hui, mais sur ses causes. » (1) —

(1) José Saramago, prix Nobel portugais de littérature disparu le 18 juin 2010, expliquait ainsi sa magnifique fable L’aveuglement, dans une interview au Monde des Livres du 23 novembre 2006.

Avec ce numéro spécial consacré à l’eau, Terra eco inaugure une nouvelle formule, plus colorée et plus aérée. Nous affirmons ici, plus que jamais, notre identité bi-média : web et papier. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires : contact@terraeco.net

Et passez un bel été en notre compagnie.