https://www.terraeco.net/spip.php?article11203
Le Guarani met l’eau à la bouche des Amériques
vendredi, 2 juillet 2010 / Anne-Gaëlle Rico

L’aquifère Guarani, en Amérique du Sud, a longtemps été considéré comme la plus grande réserve d’eau douce souterraine de la planète. Capable de noyer la France sous près de 100 mètres d’or bleu, il attise aujourd’hui bien des convoitises.

C’est le puits de quatre pays. L’aquifère (1) Guarani et ses 45 000 à 55 000 milliards de mètres cubes d’eau reposent sous les terres du Brésil (à 70 %), de l’Argentine (19 %), du Paraguay (6 %) et de l’Uruguay (5 %). Au total, il s’étendrait sur 1,2 million de km2. « L’eau est de bonne qualité, très peu polluée car protégée à plus de 80 % par une épaisse couche de roche volcanique », explique le professeur Luiz Fernando Scheibe, coordinateur du Réseau Guarani, qui lutte pour une meilleure gestion de l’eau dans la zone. Car les enjeux sont immenses : 16 millions de personnes vivent dans la région. Au Brésil, ce sont plus de 300 villes de 3 000 à 500 000 habitants qu’il approvisionne. Au Paraguay, on compte quelque 200 puits et 135 en Uruguay, qui alimentent les bains thermaux et les services publics. Enfin, l’Argentine n’exploite, pour l’heure, que six puits d’eau douce thermale dans la province d’Entre Ríos. Mais si l’appellation Guarani – du nom d’un peuple indien de la région – fait consensus entre les pays hôtes, on ne peut en dire autant des plans de gestion.

Taper du poing sur la table

« L’eau est considérée dans les quatre pays comme un bien public mais il n’y a pas d’harmonisation des législations, notamment en matière environnementale, regrette André Luiz Siqueira, le porte-parole de l’ONG brésilienne Ecoa. Chaque pays la gère différemment alors que l’aquifère aurait pu être prétexte à homogénéisation. » Il n’existe pas non plus d’accord international pour son exploitation. Les pays concernés sont seulement liés par des accords bilatéraux, sources de conflits. Les deux géants du continent, Brésil et Argentine, ont ainsi imposé au Paraguay des traités sur l’électricité produite dans les barrages d’Itaipu, à la frontière avec le Brésil, et de Yacyreta, à la frontière avec l’Argentine. En 2009, le président paraguayen, Fernando Lugo, a tapé du poing sur la table et obtenu de son homologue brésilien Lula la réévaluation du contrat : Brasilia versera désormais 300 millions d’euros annuels, contre 100 actuellement, pour l’électricité qu’il reçoit.

« Dans les années 1990, des chercheurs des quatre pays avaient pourtant lancé une initiative visant une gestion commune de l’aquifère. Les connaissances sur le Guarani étaient alors limitées et éparses. Avec le projet SAG (Système aquifère Guarani, ndlr), nous voulions unir nos forces pour sa gestion durable », se souvient la chercheuse Maria de Fatima Schumacher Wolkmer, auteure de nombreux travaux sur la question.

Arrivée d’entreprises étrangères

Problème : le projet est repris par les quatre Etats, puis la Banque mondiale qui le finance à 50 % à partir de l’an 2000. Or, l’institution impose un appel d’offres dont les exigences excluent de facto les scientifiques et favorisent pour les études techniques des entreprises aux épaules solides, donc étrangères : l’israélienne Tahal et les canadiennes SNC Lavalin et AECOM Tecsult, notamment. « Ces entreprises ont travaillé avec des entreprises locales », tempère Fernando Roberto de Oliveira, géologue et responsable du département « eaux souterraines » à l’Agence nationale brésilienne de l’eau. Mais pour Maria de Fatima Schumacher Wolkmer, le mal est fait : « Les résultats des six années de recherche, de 2003 à 2009, peuvent aujourd’hui être utilisés par des acteurs privés dont l’objectif n’est pas la préservation de l’aquifère ». Selon elle, « des équipes solides de chercheurs sud-américains devraient être créées pour prendre aujourd’hui le relais. » Quant aux ONG, elles s’inquiètent des concessions accordées aux multinationales (l’entreprise américaine de travaux publics Bechtel, Monsanto, Suez…). « N’importe quelle entreprise peut demander une autorisation d’exploitation, relativise encore Fernando Roberto de Oliveira, le responsable de l’Agence nationale brésilienne de l’eau. Chaque pays lui accorde ou non et ce, pour une durée qui dépend de la quantité et de la qualité de l’eau dans la zone concernée. »

Refuge de terroristes, selon Washington

Mais c’est une autre menace qui inquiète plus encore les activistes locaux : les Etats-Unis. Car certains élus du Congrès américain considèrent cette zone, dite de la « triple frontière » (Brésil, Argentine, Paraguay), comme un refuge de terroristes, liés au Hezbollah notamment. Selon les militants, 500 soldats américains seraient même présents sur place, et des mouvements militaires auraient régulièrement lieu à quelques kilomètres des barrages hydroélectriques. Des informations récusées par Washington. Une chose est sûre cependant : le département d’Etat a un œil sur la région. « Les populations perçoivent la présence militaire des Etats-Unis comme une atteinte à la souveraineté nationale. Et les risques de guerre ne peuvent être écartés : l’aquifère est l’objet de tensions diplomatiques susceptibles d’empirer avec le changement climatique et la raréfaction de l’eau », analyse André Luiz Siqueira, le porte-parole de l’ONG Ecoa. —

(1) Un aquifère est une couche de terrain ou une roche suffisamment poreuse et perméable pour contenir une nappe d’eau souterraine c’est-à-dire un réservoir naturel d’eau douce susceptible d’être exploité.


LES TRÉSORS CACHÉS DE L’AMAZONIE

Des chercheurs de l’Université fédérale du Pará ont révélé en avril avoir découvert ce qui serait le plus grand aquifère du monde, dans le nord du Brésil. Les données préliminaires indiquent qu’il s’étend sur une surface de 437 500 km2, mais sur une profondeur moyenne de 545 mètres. La réserve a été baptisée « Aquifero Alter do Chão ».