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L’euro ne sait pas ce qu’il vaut
lundi, 23 février 2004 / Walter Bouvais /

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, / Miça (illustration)

Après trois années de déprime, l’euro monte, monte, monte... et suscite l’inquiétude des Européens. Comment s’explique cette envolée ? Faut-il partir en vacances aux Etats-Unis ? Déterrer les emprunts russes ? Les Européens sont-ils d’éternels insatisfaits ?

L’euro est un rejeton turbulent. Depuis sa naissance le 1er janvier 1999, il a créé beaucoup de soucis aux douze Etats membres de l’Union européenne qui l’ont adopté (1). Après deux années de dégringolade inexorable, puis une année au ras des pâquerettes (autour de 0,85 dollar), la lente remontée amorcée depuis deux ans prend désormais des allures d’ascension de l’Everest. La valeur de l’euro oscille aujourd’hui entre 1,25 et 1,30 dollar. Si l’ancien franc avait encore cours, il faudrait en débourser seulement 5,25 pour se payer le billet vert et faire les soldes à New York. C’est une bonne nouvelle pour les touristes. Beaucoup moins pour les économistes.

Pourquoi l’euro grimpe-t-il ?
L’euro grimpe parce que le dollar chute. Les Américains, friands de produits étrangers (notamment chinois et japonais), importent beaucoup plus qu’ils n’exportent. Le déficit commercial est abyssal : 489 milliards de dollars en 2003. Pour payer leurs importations, les Etats-Unis achètent des devises étrangères, donc vendent du dollar. Ensuite, les cadeaux fiscaux accordés par George W. Bush et la multiplication des dépenses - militaires et de sécurité, notamment - creusent le déficit budgétaire : 374 milliards de dollars en 2003, une prévision de 521 milliards pour 2004. Pour financer ce découvert, le Trésor américain émet de plus en plus de bons, libellés en dollars. Mais les investisseurs boudent ces placements, car d’une part les taux d’intérêt américains (1%) sont plus faibles qu’en Europe (2%). D’autre part la confiance dans l’économie américaine, qui vit au-dessus de ses moyens, s’est émoussée. Conséquence, l’offre de dollars est très supérieure à la demande des investisseurs. Le cours de la monnaie américaine chute (-20% face à l’euro en 2003). Les spéculateurs parient sur la baisse et alimentent cette chute.

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Illustration : Miça

Que font les autres monnaies ?
Pour continuer d’exporter aux Etats-Unis, le Japon et la Chine doivent préserver la compétitivité de leur monnaie en contenant la dépréciation du dollar. Leurs banques centrales vendent donc du yen et du yuan et achètent du dollar (188 milliards de dollars pour la banque centrale du Japon en 2003). Cette stratégie limite l’appréciation du yen, mais ne la stoppe pas.

A qui profite le crime ?
D’abord aux Etats-Unis. A l’extérieur, un dollar faible rend leurs exportations attrayantes. Leurs entreprises gagnent des parts de marché. A l’intérieur, la faiblesse des taux d’intérêt aiguillonne la consommation et l’investissement. En Europe, les importateurs dont les achats sont libellés en dollars gagnent eux aussi au change.

Qui va payer ?
Les entreprises qui exportent aux Etats-Unis et/ou celles qui vendent en dollars, voient leurs bénéfices se réduire. En France, l’industrie aéronautique (Airbus), les exportateurs de vin et l’industrie du luxe (LVMH, l’Oréal) sont exposés. Dans ces secteurs, la croissance et l’emploi sont pénalisés.

Que faire ?
L’Europe refuse d’intervenir sur le marché des changes. La Banque centrale (BCE) pourrait baisser ses taux d’intérêt pour se rapprocher du niveau des taux américains. Mais, obnubilée par l’inflation, elle préfère freiner la consommation et l’investissement en maintenant des taux d’intérêt relativement élevés. Elle pourrait aussi acheter du dollar pour limiter l’appréciation de l’euro, avec l’aval du Conseil des ministres européens. Cette clause est prévue par le Traité de Maastricht, mais le sommet du Luxembourg (1997) en a limité la portée aux situations exceptionnelles. Tant que les Européens ne déclarent pas la situation exceptionnelle, rien ne se passe. "En fait, les dirigeants européens sont inquiets, mais ils se montrent incapables de s’accorder sur la conduite à tenir", observe l’économiste Dominique Plihon. Reste une seule solution, la coopération internationale. En 1985 les accords du Plaza avaient mis fin à l’escalade du dollar (qui valait 10,6 francs). En 1987, les accords du Louvre avaient stoppé sa dégringolade. Mais aujourd’hui les Etats-Unis ne veulent pas coopérer. Ils préfèrent laisser filer le billet vert. "Nous sommes en fait dans une situation de guerre des monnaies. En période électorale, George W. Bush a intérêt à pousser les feux de la croissance", analyse Dominique Plihon. Il y a peu de chances de voir la tendance s’inverser avant les élections américaines de novembre.

(1) Les euros sont en circulation dans 12 pays. Parmi eux, la Grèce est entrée dans la zone euro le 1er janvier 2001. Les onze autres faisaient partie de cette zone dès sa constitution le 1er janvier 1999 : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Grèce, Finlande, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal.