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Où sont passés les médecins de Bobigny ?
vendredi, 18 juin 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Ne vous y trompez pas : les déserts médicaux, ce n’est pas seulement au fond de la Creuse ou au beau milieu du Cher. Aux portes de Paris, les médecins manquent aussi cruellement…

Une petite rue résidentielle et des tours au fond. A fleur de tympans, le grondement des voitures et du tram qui sillonne la ville. Sur une petite maison saumon, une plaque annonce : « Jacques David, médecin généraliste ». Assis derrière son bureau, en blouse blanche, l’intéressé raconte. Vingt-huit ans qu’il travaille dans ce même cabinet. Vingt-huit ans qu’il voit les plaques de ses collègues disparaître une à une. « Avant, il y avait 24 médecins généralistes pour 39 000 habitants. Aujourd’hui, on est 16 ou 17 pour 48 000 habitants », explique-t-il. A quelques encablures de là, la clinique spécialisée a fermé ses portes en 2000. Bobigny a perdu par la même occasion sa maternité. « Nous sommes une des seules préfectures où l’on ne naît pas », glisse le docteur David. Selon les chiffres du Conseil de l’ordre des médecins, on compte en moyenne 90,7 médecins pour 100 000 habitants en France métropolitaine. En Seine-Saint-Denis, ils ne sont que 61,1.

Alors, ces dernières années, le docteur David a arrêté de promener sa mallette à travers la ville. « Quand je me suis installé, je passais 50% de mon temps à faire des visites à domicile. Aujourd’hui, je n’en fais plus qu’une à deux par jour. » Et il reçoit désormais uniquement sur rendez-vous – sauf urgence imprévue – pour éviter l’attente et les heures sup. « Quand vous avez 10 à 15 personnes debout avec des enfants qui pleurent, c’est beaucoup de pression. » Où vont ses patients ? Certains viennent moins souvent. « L’éducation s’est faite peu à peu. On a appris aux gens qu’il n’y avait pas d’urgence pour un renouvellement de pilule. » D’autres se tournent vers l’hôpital. « Nous avons la chance d’avoir un système d’urgence qui fonctionne bien. »

Mauvaise réputation

Mais où sont donc passés les médecins généralistes de Bobigny ? Il y a d’abord une désaffection nationale pour l’installation en ville et les contraintes qui vont avec. « Quand une lampe ne marche pas, que la secrétaire ou la femme de ménage sont absentes, il faut gérer. On ne fait pas que du médical », explique un collègue du docteur David, lui aussi généraliste à Bobigny. Selon le Conseil de l’ordre, ils ne sont plus aujourd’hui que 10% à s’installer au pavé des villes et des villages (contre plus de la moitié dans les années 1980). Mais à Bobigny, la tendance est aggravée par la mauvaise réputation de la ville. « On entend toujours parler de Bobigny à la radio le matin. Mais c’est parce que le tribunal est ici. Ça ne veut pas dire que les crimes ont été commis ici », souligne le docteur David. « Il y a des zones sensibles mais c’est pas Chicago quand même », tempère à son tour son confrère.

Qu’importe. Devant la cafèt’ d’une fac de médecine désertée, fin d’examens oblige, un jeune homme fume une cigarette. Il est en troisième année et envisage de devenir psychiatre. Mais pas à Bobigny. « Ce n’est pas vraiment le meilleur quartier. Il n’y a pas grand-monde qui veut habiter ici », lâche-t-il, laconique.

Une prime contre une installation

Pour tenter de fixer les jeunes praticiens dans ces régions « désertées », les idées ne manquent pas. Depuis mars 2009, le Conseil général de Seine-et-Marne s’engage à verser 1 000 euros par mois aux étudiants qui promettent - une fois leurs études achevées - de demeurer cinq ans dans une zone sinistrée du département. Ludovic Toro, élu UMP et médecin généraliste à Coubron en Seine-Saint-Denis, aimerait que son département prenne une telle initiative : « Si on proposait 2 000 euros par mois à un étudiant en échange d’un engagement à rester dans le département pendant six ans, ça pourrait marcher. Certes, ça ne permettra pas de couvrir les 400 postes manquants mais il faut bien commencer à faire bouger les choses. » Claude Bartolone, président du Conseil régional de Seine-Saint-Denis n’a pas encore donné suite.

Dans son cabinet de Bobigny, le docteur David, lui, hausse les épaules. Trouver un successeur à l’heure de la retraite, il n’y croit pas. « Je dévisserai ma plaque et c’est tout, regrette-t-il. Mais j’aurai un peu l’impression d’abandonner les gens à eux-mêmes. »

- La démographie médicale à l’échelon national par le Conseil de l’Ordre des médecins
- La démographie médicale en Seine-Saint-Denis
- Le blog de Ludovic Toro
- Les bourses pour les étudiants en médecine de Seine et Marne