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« On est aveugles, le Giec de la biodiversité nous donnera des yeux »
vendredi, 11 juin 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Soyons réalistes : les démarches actuelles pour protéger la biodiversité n’ont pas abouti. Raison pour laquelle est en train de sortir de terre une nouvelle institution, sur le modèle du Giec. Une bonne idée ? Réponse à trois voix.

IPBES : International platform on biodiversity and ecosystems. Le sigle n’a même pas encore d’équivalent en français qu’on l’appelle déjà le « Giec de la biodiversité », sur le modèle du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. C’est pourtant la France qui avait lancé en 2005 l’idée de cet organisme, dont les contours ont été finalisées ce vendredi au cours d’une réunion à Busan en Corée du Sud. On n’attend plus qu’une validation en septembre à l’assemblée générale de l’ONU.

Que peut-on attendre de ce Groupe intergouvernemental d’experts sur la biodiversité et les écosystèmes (allons-y pour Gibes) ? Constatant que l’engagement pris en 2002 d’enrayer l’érosion de la biodiversité d’ici 2010 n’était pas tenu du tout ou presque, l’ONU appelait le mois dernier à « des mesures rapides, radicales et créatives ». Idem en France, où les voyants sont dans le rouge. Après l’échec de Copenhague et les critiques essuyées par le (vrai) Giec, fallait-il copier le modèle ? Et ne risque-t-on pas de favoriser la marchandisation de la nature ? Réponses de trois connaisseurs.

Lucien Chabason, directeur délégué de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

« Il y a un déficit de connaissances dans beaucoup de régions du monde. C’est un domaine qui n’a pas été favorisé pendant très longtemps, y compris en France. On se concentrait sur des questions qui apparaissaient complètement marginales aux gouvernements et aux entreprises comme la protection des animaux sauvages ou des zones humides. Au contraire de la pollution par exemple, qui touche plus directement à la santé publique. Au fond il y a un scepticisme dans ces milieux sur le fait que cela a vraiment de l’importance : on lui alloue quelques moyens pour qu’elle continue de s’occuper de ses hobbies et puis voilà. »

« Les rapports produits par les ONG et les organisations environnementales n’y emportant pas la conviction, on attend de l’IPBES une impulsion qui fasse autorité. Cela va beaucoup changer la visibilité de la biodiversité. Le Giec a contribué à crédibiliser le sujet du changement climatique. S’il a été l’objet d’attaques, c’est bien que c’est une institution forte. On ne s’en prend pas aux faibles. »

Dominique Bourg, directeur de l’Institut de politiques territoriales et d’environnement humain de l’université de Lausanne

« On le voit avec l’expérience du Giec : le fait d’avoir un consensus scientifique sur l’essentiel n’a pas empêché des contestations externes. Dès que l’on essaiera d’imposer des mesures au nom de ce que l’on sait, le travail de contre-lobbying aura lieu. D’autant plus que l’on n’a pas affaire à une science dure, comme c’est le cas avec la physique pour le climat. Les politiques ont aussi tendance à amollir les connaissances scientifiques. Dans le rapport du Giec de 2007, on chiffre la montée des eaux à 60 cm alors que la plupart des évaluations étaient de l’ordre du mètre. Mais je ne suis pas sûr que ce soit un mauvais modèle. L’idée est d’avoir une interface entre la communauté scientifique et les gouvernements. Et si les biologistes désirent cet organisme sur la biodiversité c’est bien parce qu’ils envient la façon dont les climatologues ont réussi à se faire entendre… »

« Y a-t-il un risque de simplification sur un aspect purement monétaire ? On l’aurait même sans l’IPBES. Nous sommes dans des sociétés complètement folles qui ne regardent plus que cela, et c’est très difficile d’agir sans une certaine simplification. En dépit de toutes les bagarres sur le rapport Stern, par exemple autour des taux d’actualisation, il a vraiment fait tourner une page. Il faudra des contrepoids pour prendre en compte ce qui a une valeur mais pas de prix. »

Christine Sourd, directrice adjointe des programmes au WWF

« En matière de biodiversité, il n’existe pas de mètre étalon unique comme le carbone pour le changement climatique, car les liens de causalité sont beaucoup plus complexes et interdépendants. La biodiversité n’est pas échangeable sur le mode “je te donne ma forêt, tu me donnes ton étang et je protège ton désert”. La valorisation économique ne pourra donc être que locale, sectorielle. Il faut absolument avancer sur l’IPBES car aujourd’hui on n’a pas du tout de mise en perspective des connaissances, de confrontation des idées, on est aveugles. Ça nous donnera des yeux. »

« L’un des enjeux des négociations est que les experts sont plutôt au Nord et la biodiversité au Sud. Il faut éviter que ceux qui ont les moyens savent pendant que les autres subissent. La connaissance ne vient pas de la lune, elle est forcément connotée d’influences culturelles. Il n’y a pas d’observateur isolé qui ne soit pas formaté par les pensées et les systèmes économiques de son pays. Cela suppose de donner aux pays pauvres les moyens, y compris financiers, d’avoir une expertise pour pouvoir parler au même niveau que les autres. »


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