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Elie Cohen : « Pas de retraite durable sans équilibre entre les générations »
vendredi, 4 juin 2010 / Julien Kostrèche

Vous avez dit « retraite durable » ? La formule est souvent reprise par les politiques dans le débat actuel sur la réforme de notre système de retraites. Qu’en pense Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil d’analyse économique ?

Terra eco : A gauche comme à droite, on entend aujourd’hui parler de « retraite durable ». Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Elie Cohen : « Il n’y a pas de retraite durable sans un système qui préserve durablement le contrat inter-générationnel, qui veille à ne sacrifier aucune génération. Toute réforme qui changerait l’indispensable équilibre entre les générations, en faisant peser l’essentiel de l’effort sur une seule génération – présente ou future – ne serait pas durable. Il n’y a pas de retraite durable non plus si la réforme n’est pas socialement acceptée, donc perçue comme juste par les citoyens. Enfin, il n’y a pas de retraite durable sans une bonne prise en compte des données économiques ou démographiques. Si l’on sous-estime la croissance ou le chômage, ou que l’on surestime les gains de productivité attendus, on ne peut bâtir un projet de réforme soutenable. Toute solution basée sur la méconnaissance des données est condamnée d’avance. Si vous regardez les propositions du COR (Conseil d’orientation des retraites, ndlr), vous constatez qu’on a choisi d’éviter le pire scénario, qui consiste à simuler un système des retraites dans une économie avec un taux de chômage durablement élevé et un taux de productivité qui reste faible. Ce scénario noir n’est pourtant pas irréaliste. Mais le COR a préféré tabler sur un taux de chômage à 7% et un taux de productivité de 1,8%, c’est-à-dire le plus élevé qu’on ait connu ces dernières années… »

Comment jugez-vous les propositions de réforme aujourd’hui formulées par le gouvernement et l’opposition ?

« Aucune des solutions sur la table, ni celle du gouvernement ni celle de l’opposition socialiste, n’est aujourd’hui durable. Prenez celle de la majorité : repousser l’âge légal du départ en retraite à 63 ans et allonger la durée des cotisations d’ici à 2020. Et bien le COR nous dit déjà que ça ne suffira pas. Selon ses calculs, repousser l’âge légal de la retraite à 65 ans et allonger la durée des cotisations de 4 ou 5 ans ne permettra de résoudre que la moitié du problème des retraites du privé. Prenez les propositions du PS : maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans, mais taxer tous azimuts le capital, ce n’est pas tenable. Les socialistes oublient que l’excès de taxation fait disparaître la matière imposable. Si vous taxez les stock-options ou les bonus à 70%, et bien on ne donnera plus de stock-options dans les entreprises… »

Pour préserver l’équilibre entre les générations, pensez-vous qu’il faille taxer les retraites d’aujourd’hui pour financer celles de demain ?

« Faire payer les retraités d’aujourd’hui est un faux débat. L’idée de Terra Nova (un club de réflexion proche du PS, ndlr) d’aligner la taxation des retraités sur celle des salariés – en leur faisant notamment payer la CSG – ne jouera qu’à la marge… Non, les grands leviers pour équilibrer nos retraites restent les mêmes. Le premier, c’est de reculer l’âge légal de départ à la retraite (on y va mais trop doucement) tout en maintenant la mesure Chérèque/Raffarin car il serait scandaleux que ceux qui ont travaillé le plus, qui ont commencé jeune et dont l’espérance de vie à la retraite est plus faible, soient pénalisés. Deuxième levier : allonger la durée de cotisation, de 40 à 41 ans, puis à 42 ans. Troisième levier : trouver de nouvelles recettes pour maintenir les avantages non contributifs, qui n’ont pas été acquis par les cotisations d’assurance-vieillesse mais par la solidarité nationale (le minimum vieillesse, la prise en compte des périodes de chômage dans la durée des cotisations, etc.). »

Dans une chronique, justement intitulée « Pour une retraite durable », vous dénonciez en 2003, l’immobilisme des politiques. En sommes-nous sortis selon vous ?

« Non. Nous sommes toujours dans une forme d’immobilisme. Le problème des retraites est clairement posé depuis le livre blanc de Michel Rocard en 1990. En vingt ans, il n’y a pas eu de grande réforme, seulement une successions de petites évolutions. Et la réforme actuelle n’est qu’une petite étape de plus. En France, on est doués pour sortir de grands rapports, on l’est beaucoup moins quand il s’agit d’engager des réformes sur le long terme. Nos hommes politiques ne peuvent malheureusement pas s’empêcher de faire de la politique partisane, même sur un enjeu de société comme l’avenir du système de retraites. La Suède, ou l’Allemagne qui a décidé de repousser – progressivement – l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans (d’ici 2027), nous montrent pourtant qu’il est possible d’être à la hauteur des enjeux. »

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