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Lester Brown et l’équation alimentaire mondiale
jeudi, 3 juin 2010 / Hélène Duvigneau

De passage en Asie, le célèbre agro-économiste et environnementaliste américain a tiré la sonnette d’alarme sur la mortalité de notre civilisation et la précarité de nos ressources agricoles.

Deux ans après un passage remarqué à Pékin lors de la flambée des prix alimentaires mondiaux, Lester Brown était de retour cette semaine avec en poche un Plan B 4.0 qui se veut à la fois un état des lieux de la crise écologique mondiale et un précis de solutions pour l’avenir.

Premier constat du président du think tank d’« éco-économie » Earth Policy Institute, l’économie alimentaire de la planète est inextricablement intégrée. Même les États-Unis, pays-grenier mondial, ne peuvent désormais plus fermer leurs portes, en cas de crise, à une Chine qui est devenue son banquier. Résultat, le cauchemar des consommateurs américains est de se retrouver aujourd’hui en compétition avec une population d’1,3 milliard de Chinois – qui ne cessent de s’enrichir – pour acheter les céréales produites sur leur propre territoire.

La pression de la demande pèse sur les producteurs

L’un des exemples de cette nouvelle donne est l’augmentation, fin mai, des importations chinoises de maïs en provenance des États-Unis. D’un million de tonnes cette année, on parle déjà de 3 à 6 millions de tonnes d’ici fin 2011. Que dire aussi du soja américain, dont la Chine est le premier importateur ? « Dans le passé, la Chine produisait et consommait 15 millions de tonnes de soja. Aujourd’hui elle produit la même quantité mais en consomme 56 millions », rappelle Lester Brown.

Le problème, c’est que l’équation alimentaire mondiale ne tient pas debout. D’un côté, la pression de la demande pèse sur les producteurs : il y a chaque jour 216 000 nouvelles bouches à nourrir sur terre ; il y a un milliard et demi de citoyens chinois dont les exigences alimentaires augmentent et la conversion de récoltes céréalières en agrocarburants pose problème. Rien que l’an dernier, 116 des 416 millions de tonnes de grains produites aux États-Unis ont pris la direction de distilleries. « Le lien entre le prix du baril de pétrole et les prix alimentaires est étroit : si le premier augmente, le second augmentera également. »

L’offre est mise à rude épreuve

En amont de la chaîne, l’offre est mise à rude épreuve : dans bien des pays, l’eau devient une denrée rare. « Si nous buvons 4 litres d’eau par jour, les denrées alimentaires que nous consommons demandent 500 fois plus d’eau. Or les trois plus gros producteurs de grains – Chine, Inde et États-Unis – connaissent un déclin de leurs nappes phréatiques. » Pour Lester Brown, la planète a probablement déjà atteint un pic de consommation d’eau douce, ressource qui, contrairement au pétrole, n’a pas d’alternative. A noter aussi : des « bulles alimentaires », nées de cette surconsommation en eau, risquent à tout moment d’éclater. L’Arabie Saoudite, qui a trop pompé dans son plus grand aquifère fossile, devra par exemple abandonner sa production de blé en 2016. Autres facteurs aggravants : la fonte des glaces au Groenland, susceptible d’affecter la production de riz au Vietnam, ou encore la fonte des glaciers de la chaîne himalayenne.

Conséquence : la malnutrition qui touchait 825 millions de personnes au milieu des années 1990 en frappe aujourd’hui plus d’un milliard. « Nous ne sommes pas prêts à sauver notre civilisation. Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de civilisation en déclin. »

Les solutions de Lester Brown ? Réduire de 80% les émissions de CO2 en 2020 et non en 2050, stabiliser la population à 8 milliards d’âmes, éradiquer la pauvreté, restaurer les écosystèmes naturels. Le tout en attendant peut-être un « Pearl Harbour » environnemental, événement choc seul capable de créer une union sur le terrain de l’environnement comme ce fut le cas aux États-Unis après le 7 décembre 1941.

- Le site de Bloomberg
- Le blog Kanan48