https://www.terraeco.net/spip.php?article10531
La maison écolo à 100 000 euros : peut-on y croire ?
dimanche, 30 mai 2010 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Une « maison écolo », c’est un peu le triple effet Kiss Cool : un habitat sain, respectueux de l’environnement et économique en énergie. Tout le monde en a envie, mais pas forcément les moyens. En France, des solutions plus raisonnables pour le compte en banque pointent le bout de leur toit ici et là.

Splash ! Un morceau de crépi se décroche du mur alors que je claque la porte de mon appart. La faute à l’humidité ambiante, dont le taux flirte avec les 70 % par temps de pluie. Comble du comble, la situation a dégénéré le jour où j’ai troqué mes vieilles fenêtres en bois pour du double vitrage : j’ai alors banni non seulement les courants d’air de mon deux pièces, mais aussi sa ventilation naturelle ! Et me suis retrouvée dans une ambiance entre forêt amazonienne et hammam marocain. Du coup, la lettre que je viens de découvrir nichée sous le paillasson est certes douloureuse – mon arrière-grand tante Gertrude est décédée dans sa 98e année –, mais me laisse aussi entrevoir un doux rêve. Avec ces 150 000 euros d’héritage en poche, c’est décidé, je veux ma maison verte ! L’idée me trotte dans la tête depuis que je suis allée découvrir Issy-Les-Moulineaux. Non que cette douce commune des Hauts-de-Seine soit classée au Patrimoine de l’humanité, mais j’y suis tombée nez à nez avec ma première « maison à énergie positive ». La demeure, baptisée Gaïta par son architecte et propriétaire Pascal Gontier, a quelque chose d’envoûtant. Son principe est simple et encore atypique sur nos terres hexagonales : produire davantage d’électricité qu’elle n’en consomme. Grâce à son orientation, ses panneaux solaires et sa pompe à chaleur, elle produit 44 kWh d’énergie par m2 et par an. Alors que ses habitants y ont besoin de 43 kWh/m2/an. C’est cinq à six fois moins que les 200 à 300 kWh/m²/an qu’exige un habitat classique. Mieux, cette maison fait gagner de l’argent à ses habitants via la revente du surplus d’électricité. En poussant la porte de cette villa, je me suis donc frottée les mains – personne n’est parfait, même à Terra eco – en songeant à l’allègement de ma facture. Mais surtout, je me suis sentie BIEN. Ses innombrables et larges baies à triple vitrage, en plus de mater les déperditions thermiques, diffusent une douce lumière naturelle. Les planchers en bois massif et l’isolation en cellulose et laine de bois créent une ambiance de cocon sain. Son système de ventilation purifie l’air et récupère les calories extraites de l’air intérieur. Bref, j’étais devenue moi aussi « énergie positive » !

Choc pétrolier et Bowie

ça c’était pour la phase enchantement. La seconde phase – désenchantement, c’est bien, vous suivez toujours – a commencé à la minute où l’architecte de la belle maison a ouvert la bouche. Disons que son « concevoir et construire une habitation écologique aujourd’hui n’est pas si simple » a jeté comme un vent du nord sur mes ardeurs. Il a poursuivi : « Nous manquons de compétences en France. Pour trouver des matériaux performants et aux prix abordables, j’ai dû aller à l’étranger : la structure en bois a été fabriquée en Autriche, dans le Vorarlberg (lire Terra eco n°14, mai 2010). Les façades solaires, qui permettent de récupérer l’énergie solaire pour la faire entrer directement dans la maison, sont développées par une société suisse. Et les grandes baies vitrées ne sont pas conformes à la réglementation française… » Ne voulant y croire, j’ai filé dans l’instant croiser ce sombre tableau avec les billes d’une spécialiste. Peine perdue. Laurence Bonnevie, architecte de la société No Man’s Land et spécialiste de la maison passive confirme. « Les produits spécifiques à la construction passive sont 20 % à 30 % plus chers en France qu’en Belgique, Autriche ou Allemagne. Dans ce dernier pays, les surcoûts pour construire une telle maison atteignent 5 % à 10 %, alors que chez nous, ils s’envolent ! »

Il faut faire un petit retour sur nos pas pour y comprendre quelque chose. Souvenez-vous : les années 1970, le choc pétrolier et l’apogée de Bowie. C’est à cette date-clé que l’Hexagone opte pour le nucléaire alors que l’Allemagne parie sur les sources d’énergies alternatives et durables. Trente-cinq ans et un paquet de ministres du Logement plus tard, les comptes sont élémentaires. Vous avez, d’un côté, nos cousins les Germains qui ont sorti de terre plus de 12 500 « PassivHaus », des habitations à énergie négative. Côté hexagonal, une petite centaine de maisons poussent péniblement ici et là.

Schizophrénie française

Autre frein : le marché des matériaux de construction. En rechignant à mettre sur le marché des éléments indispensables à la construction passive, comme des scotchs d’étanchéité à l’air, des pare-vapeurs ou des ventilations à double flux, certains industriels entravent la distribution de ces produits en France. Voire font le forcing pour qu’ils ne soient pas homologués par BBC Effinergie, le label français des maisons basse consommation, pourtant loin d’être aussi exigeant que les critères de la maison passive. Schizophrénie française : vous devez donc choisir entre le fameux BBC Effinergie – et les aides financières qui l’accompagnent – ou le label Maison Passive reconnu par l’Europe, mais pas par l’Etat français – et donc dépourvu d’aides… Coup dur : devant ce parcours du combattant, mon rêve a presque fondu comme la calotte glaciaire du pôle Nord.

Heureusement, est arrivé jusqu’à moi un doux refrain : les constructeurs « verts » plancheraient sur des concepts de maisons écolos « clés en main », accessibles à nos petits comptes en banque. « Ce sont toujours des habitations très performantes sur le plan énergétique. Pour atteindre le niveau de “ maison passive ”, il faut économiser quelques kWh d’énergie supplémentaires, les plus difficiles et ceux qui semblent rendre la maison passive “ chère ” », constate Esra Tat, de Terra Cités, spécialisée dans la construction durable. Premier filon pour casser les coûts : bannir la complexité, aller vers la sobriété. « La taille peut être limitée à la réelle utilité. A-t-on vraiment besoin de 250m², explique-t-elle. Il faut aussi privilégier les formes esthétiques sans décrochés qui font perdre beaucoup d’énergie. » Chez ce constructeur, les réalisations vont des formes traditionnelles avec deux simples ailes rectangulaires jusqu’aux maisons cubiques, très modernes. Le groupe Gico est allé plus loin, avec la maison passive Kokoon, véritable « cube » de 100 m3, disponible pour 100 000 euros. Pour réussir ce miracle, Gico a tiré sur la deuxième ficelle : des habitations reproductibles. « Nos maisons sont en ossature bois : tout est quasiment préfabriqué en usine et une fois les quatre grands panneaux de bois livrés et assemblés sur le terrain, il ne reste plus que les finitions, explique Eric Perbos-Brinck, l’un de ces concepteurs. Nous avons négocié de bonnes conditions d’achat avec nos fournisseurs, en nous basant sur de grandes quantités. En contrepartie, peu de changements sont possibles sur nos maisons. » Cerise sur le gâteau : pratiquement tous les matériaux sont produits à proximité.

Carnets de commandes pleins

Pour stimuler les neurones des constructeurs, le fabricant Rockwool a lancé le concours de la Maison Respekt, visant à développer une petite maison à très haute performance énergétique et à moins de 200 000 euros. Résultat : plus de 700 dossiers reçus ! Un des lauréats, la Villa Concept, a même décroché, en décembre 2009 à Copenhague, la médaille d’or de la Maison à énergie positive de l’Union des maisons françaises. Pas de temps à perdre pour faire fructifier l’héritage de tante Gertrude, car les carnets de commandes de ces constructeurs ne désemplissent pas. Rien d’étonnant : selon un sondage TNS Sofres, 70 % des Français se disaient, en 2007, prêts à acheter un logement écologique « moyennant une aide de l’Etat ». Mais écoprêts à taux zéro ou crédits d’impôts ne concernent aujourd’hui que les constructions HQE et BBC et laissent de côté les maisons passives. Sauront-ils évoluer pour encourager cet engouement ? Affaire à suivre. —