https://www.terraeco.net/spip.php?article10368
« Que les supermarchés s’engagent à acheter français »
lundi, 17 mai 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Appelée à rogner ses marges sur les produits agricoles, la grande distribution prend les devants et propose d’aider les petits producteurs… André Bouchut, secrétaire national de la Confédération paysanne, dénonce une opération marketing.

Terra eco : Carrefour appelle à créer un fonds de soutien à la conversion bio et met 10 millions d’euros sur la table. Très bien ou hors sujet ?

André Bouchut : « C’est assez paradoxal. C’est très bien de donner un coup de main pour le développement du bio mais si l’on acceptait de travailler avec tout le monde pour vendre des produits de saison et payer un prix rémunérateur pour le producteur, ce serait mieux. C’est comme Leclerc qui dit “on est prêts à payer un prix minimum au paysan”… sauf qu’ils ne sont jamais engagés à acheter français. S’ils vont à 80% en Espagne, en Italie, ou dans l’hémisphère Sud, on aura un prix garanti mais on n’arrivera plus à vendre nos produits… Tout ça, c’est de l’habillage qui permet de faire de la pub pour pas grand-chose. »

Mais n’est-on pas dans le flou sur la répartition des marges ? Pour Michel-Edouard Leclerc, en désignant les grandes surfaces à la vindicte du monde paysan, on oublie les grossistes ou l’agroalimentaire…

« Les choses sont ambivalentes. Ils disent “c’est pas nous, c’est les transformateurs”. Ce n’est pas vrai pour les fruits et légumes car les produits transformés sont souvent des marchés séparés qui nous touchent moins. Mais c’est vrai pour le lait. Les compagnies agroalimentaires qui sont sur des marchés à forte valeur ajoutée, du style Lactalis ou Danone, se sont rempli les poches : elles ont payé la matière première un quart à un tiers moins cher alors que le prix de leurs produits n’a pas tellement baissé. Mais il ne faut pas se détourner du problème : les supermarchés sont des acteurs importants de la baisse des prix agricoles. Ils se sont regroupés, développent des supérettes dans les centre-villes, sont présents à l’étranger et ont chacun leur centrale d’achat. Ils ont un pouvoir d’achat phénoménal. Leur mode de fonctionnement, c’est “si vous ne vous alignez pas, on achète ailleurs où c’est moins cher”. Et ce, même s’ils sont capables d’acheter des fromages en direct qui seront mis en valeur car ils ont besoin d’avoir une image plus locale. »

Quelles sont les propositions portées de la Confédération paysanne ?

« Repenser la politique agricole commune et aller vers la souveraineté alimentaire, car la vision libérale nous a mené dans le mur. C’est aberrant que nos frigos soient pleins de pommes du Chili, il faut pouvoir se protéger. On doit produire ce que l’Europe peut consommer et organiser la production avec des calendriers de fruits et légumes. Quand les fraises françaises arrivent, il faut que les Espagnols en produisent un peu moins et arrêtent d’envahir le marché français. Tant qu’on ne fera pas cela, on n’aura que des pis-aller qui permettront éventuellement que les crises fassent un peu moins mal. C’est le cadre global. Après, il faut déconcentrer la demande en permettant à d’autres lieux de commercialisation d’exister. J’ai d’ailleurs demandé au ministre d’étudier les possibilités pour aider les marchés de gros français qui, à part celui de Rungis, sont en train de mourir à petit feu. »

Que pensez-vous des autres voies évoquées comme des coupons produits frais pour soutenir la consommation de fruits et légumes, le rognage sur les marges de la grande distribution ou l’utilisation du levier des commandes publiques ?

« Il est clair qu’il faut permettre à toutes les collectivités territoriales qui s’intéressent au bio ou en tout cas aux produits locaux de qualité de faire des appels d’offres ciblés. Sur les coupons, nous sommes en train de réfléchir et de chiffrer cela pour faire des propositions. Tout le monde doit avoir droit à une alimentation de qualité et ce n’est pas le cas. On a bien des bons vacances, des allocations logements, familiales, pourquoi n’aurait-on pas un système d’aide alimentaire ? Mais tout dépend de la manière dont on l’organise car si les gens peuvent acheter avec cela des produits en boîtes fabriqués en Chine, cela n’a aucun sens ! Au Brésil, les producteurs locaux ont un accès privilégié pour fournir les groupements d’achat où les familles en difficulté échangent leur bons alimentaires.

Sur les marges, ce n’est pas une mauvaise idée, mais cette loi existe depuis longtemps : c’est un système de coefficient multiplicateur qui impose à chacun des acteurs de modérer sa marge en cas de crise. On a demandé de l’appliquer il y a quelques temps pour les fruits, mais Christine Lagarde a refusé. On n’a pas besoin d’inventer, on a déjà tout en magasin. La seule question c’est “Est-ce qu’on veut le mettre en place ou pas ?” C’est la même chose pour l’interdiction de la vente à perte. Les instituts techniques sont capables de calculer les coûts de production d’un litre de lait ou d’un kilo de pêche et donc fixer un prix de revient minimum pour le producteur. Par contre, si on fait cela, il faut une obligation d’acheter en Europe… »