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A la poursuite du film vert
lundi, 17 mai 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Tandis que le festival de Cannes étale sur la Croisette un train de vie bien peu durable, certains acteurs du monde du cinéma tentent de réduire leur impact sur la planète. Sauf que faire un film sans polluer tient presque de la mission impossible…

Des gobelets en carton, des jus de fruit bio et du faux sang naturel, savant mélange de sirop de fraise et de gelée de groseilles… Nous sommes en 2007 à La Rochelle, sur le tournage de Lady Blood, le premier film d’horreur « sang pour sang bio ». « On s’y est mis sur la suggestion d’un éco-concepteur. Mais c’était très empirique, nous n’avions pas de modèle », se souvient Eric Porcher, producteur du film. La production hisse son équipe dans un train, installe ses quartiers dans un village de vacances et organise le covoiturage. Elle pèse ses déchets et les trie. Imprime les scénarios sur des feuilles recto-verso en papier à recycler, etc. Depuis quelques mois, la troupe de Lady Blood a été rejointe dans le champ du tournage vert. En 2008, l’équipe de Nos enfants nous accuseront de Jean-Paul Jaud a ainsi voyagé en train elle aussi et celle d’Un prophète a connu le bonheur des toilettes sèches.

Mais voilà. « Pour l’instant, ce sont plutôt des initiatives individuelles. Des efforts au coup par coup initiés par un régisseur, un producteur, un chef opérateur… », souligne Corinne Rufet, conseillère régionale Verte et présidente de la Commission du film d’Ile-de-France. Même écho dans les rangs des intéressés. « J’ai vu très peu d’initiatives de ce type, concède Ludovic, assistant réalisateur. Une fois, une équipe caméra a demandé à faire le tri mais au bout de trois semaines, l’idée avait lâché. On se déplaçait pas mal. C’était difficile pour les régisseurs de trimbaler 3 poubelles à la fois. ». Et c’est bien là le cœur du problème. Plus qu’une réticence des équipes, c’est souvent la technique qui coince ou le temps et le budget qui manquent.

Grosses bêtes ronronnant au fuel

Sur la balance environnementale d’un tournage, c’est avant tout l’électricité qui pèse. Certes les lampes basse consommation existent. Mais « beaucoup de techniciens estiment qu’elles ne donnent pas encore la bonne couleur ou la bonne matière, estime Monica Fossati, experte scientifique en développement durable. Un directeur photo, c’est quelqu’un qui sculpte la lumière, peint avec. Lui demander de passer aux LED, c’est comme demander à un artiste habitué à la peinture à l’huile de passer à la peinture à l’eau. C’est possible, mais ce n’est pas la même technique, ni le même rendu. »

Lorsqu’ils débarquent sur une plage ou font halte en plein champ, les techniciens sortent leurs groupes électrogènes, grosses bêtes ronronnant au fuel. Un cauchemar pour la planète. Certes, une équipe peut demander à ERDF un branchement forain, c’est à dire l’installation de compteurs puissants sur le site. Mais les délais sont souvent longs. « Le problème c’est que souvent, on ne sait pas où on va tourner, trois ou quatre jours avant », souligne Eric Porcher. Pour résoudre – au moins partiellement le problème – la ville de Paris a installé des branchements forains sur les six points de tournage les plus fréquentés de la capitale. Mais difficile de planter un compteur aux quatre coins de la campagne française…

Un petit pied et deux caméras

Autre poste très polluant : le transport. Déplacement des comédiens et des figurants qui ne commencent souvent pas aux même heures. Acheminement du matériel surtout. « Il y a plein de choses qui se décident au dernier moment, rappelle Ludovic. Du coup, on choisit souvent d’emporter tout le matériel électrique, la machinerie, même si pour finir on aura besoin que d’un petit pied et de deux caméras. » Autant de camions en trop lancés sur l’asphalte. La raison ? Une réduction du temps de préparation avant tournage, coûteux en temps, donc en salaires.

Mais si c’est l’argent qui pose problème, c’est peut-être aussi là qu’est la solution. Car faire un film respectueux de l’environnement n’est peut-être pas si cher… « Au départ, dans le budget prévisionnel, on estimait le surcoût à 10 000 euros, se souvient Eric Porchet. Mais au final, ça a été une opération blanche. Parce qu’on a fait des économies d’échelle, en consommant moins de gobelets par exemple. »

Une calculette carbone pour le tournage

Mieux, faire plus vert pourrait à terme se révéler aussi indispensable qu’un clap ou un projecteur sur un plateau. En 2009, l’Ademe, les Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire), la Commission du film d’Ile-de-France, France Télévisions et TF1 ont lancé le projet Ecoprod. En septembre prochain, il devrait proposer sur son site une calculette carbone à utiliser avant le tournage. « Quand le calculateur existera, on pourra aller voir le producteur et lui demander de s’engager sur 5 axes par exemple (alimentation bio, énergie alternative, recyclage des décors…). Au début, si un producteur s’engage sur ces 5 points-là, il aura par exemple 5% d’aides en plus. Deux ans plus tard, on passera à la vitesse supérieure. S’il ne s’engage pas, il aura 5% en moins », propose Corinne Rufet. Des contraintes oui. A condition d’offrir les alternatives. Sur son site, Ecoprod livre aussi des fiches pratiques pour améliorer la vie des techniciens du ciné ou soutient la recherche sur certains points technologiques épineux. A quand le premier film neutre en carbone ?

- Le site d’Ecoprod
- L’étude « Quelles actions pour des tournages de films plus écologiques » par Sophie Cornet.
- L’empreinte écologique d’un tournage comptabilisée par la commission du film d’Ile-de-France.