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Chère République, chausse tes lunettes !
jeudi, 21 octobre 2004 / Arnaud Gonzague

Gwénaëlle Calvès nous conte l’histoire d’une République qui adore la discrimination positive, mais dit benoîtement "Ah ? Tiens ? Où ça ?" quand on lui parle de Blacks et de Beurs.

Gwénaëlle Calvès, La Discrimination positive, Que sais-je ? n°3712, PUF, 127 pages, 7,50 euros.

"La discrimination positive, vous êtes pour ou contre ?" Cette grave question commence (enfin) à être posée dans les débats télévisés, et fait barrer d’un pli soucieux les fronts des éminences politiciennes. Tout le mérite du livre de Gwénaële Calvès, normalienne et professeure de droit public, est de nous montrer que cette question aurait dû être posée... Il y a trente ans ! C’est en effet sous la présidence Giscard que les premières mesures d’affirmative action (le terme n’existait pas) ont été édictées, à la fois pour encourager l’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail et l’avancée des femmes en politique. On ne parle pas des zones d’éducation prioritaire (Ze) et autres zones franches, dont la naissance remonte aux années 80. Bref, la discrimination positive est parmi nous depuis longtemps et, que l’on sache, n’a pas renversé la Ve République...

République : défense d’entrer

Mais pourquoi alors nous semble-t-elle une question si épineuse et si contemporaine ? Parce que la France est en train de réaliser qu’elle a oublié un problème majeur, qu’elle aimerait bien mettre sous le boisseau, mais qui, comme le cadavre sous le parquet de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, revient sans cesse la hanter. Ce problème, c’est la discrimination ethnique. Le fameux "Je crois qu’ça va pas être possible", chanté par Zebda, et opposé aux Black et aux Beurs à l’entrée des entreprises. A l’entrée des logements. A l’entrée des studios de télévision. Bref, à l’entrée de la République.

Doux euphémismes

Beaucoup, à l’instar du sociologue Eric Keslassy (lire Terra economica n°22), clament "Vive la discrimination positive !", mais regardent leurs chaussures, embarrassés, quand on évoque des histoires de couleur de peau. Pourtant, il faudra bien appeler un chat un chat. Voilà que le ministre de l’Intérieur souhaite nommer un "préfet musulman", que la SNCF ou PSA évoquent un "métissage" dans leurs recrutements, que les autorités invitent les chaînes de télévision à présenter plus souvent à l’antenne des "minorités visibles" et que même l’ultra-républicain Chevènement enjoint la police d’enrôler des "jeunes issus de l’immigration"...

Ces doux euphémismes, détaillés avec férocité par Gwénaële Calvès, révèlent surtout notre immense hypocrisie à ne voir que des "citoyens", tout en aidant de facto les victimes d’un racisme ordinaire. Mais, dira-t-on, notre République ne peut pas accepter les discriminations ethniques, même positives. "Faux !", répond l’auteure : une modification constitutionnelle est tout à fait possible, à condition qu’elle "résulte, après mûre réflexion, d’un véritable choix collectif." Comme l’a dit un juge américain, "pour combattre le racisme, il est nécessaire de prendre la race en compte." Et il est grand temps que la France se regarde dans un miroir.


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