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On n’a pas de pétrole mais on a des idées pour le récupérer
mercredi, 5 mai 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Pour aider à lutter contre la marée noire dans le Golfe du Mexique, Jean-Louis Borloo veut expédier outre-Atlantique des bateaux français. Mais rien ne dit que les États-Unis accepteront cette main tendue.

Prestige, Erika, Amoco Cadiz : en matière de marées noires, la France a déjà donné. Conséquence directe : elle a développé des moyens de lutter contre ces catastrophes écologiques. Et si on les envoyait à la rescousse des États-Unis, empêtrés dans les 10 millions de litres de pétrole déversés par ce qui reste de la plate-forme pétrolière de BP ? C’est ce qu’à proposé ce mardi le ministre du Développement durable Jean-Louis Borloo, évoquant le savoir-faire de l’entreprise bretonne Ecoceane et le chiffre de cinq bateaux. « Il s’agirait d’un navire Catamar pour la haute mer et de quatre barges pour le littoral. Mais nous sommes en train de travailler à une deuxième proposition : en retardant des livraisons et en discutant avec des clients qui ont déjà été livrés, on peut arriver à 21 bateaux », précise Eric Vial, président de la société.

Autre littoral, autre technique, avec Géocéan, basé près de Marseille, qui a envoyé une équipe sur place pour tâter le terrain. Sur la base du bricolage d’un pêcheur vendéen lors du naufrage du Prestige, le groupe a mis au point des filets anti-pollution qui permettent à de simples bateaux de pêche de se joindre à la lutte. Lors de cette marée noire, il s’était également illustré en plaçant un dôme au-dessus de la fuite, une technologie inspirée de celle qu’utilise Nymphea, une autre de ses sociétés, spécialisée, elle, dans le captage des sources sous-marines

Couvercles de béton

BP poursuit justement une solution similaire avec la fabrication de trois énormes couvercles de béton pour boucher le puits. Les Américains n’ont d’ailleurs pas non plus attendu la France pour lancer à l’assaut de la nappe une armada de bateaux dépollueurs et d’avions militaires chargés de répandre des produits dispersants. « Ils ont beaucoup plus de navires que nous et il n’y pas de technologie particulière à la France », rappelle Christophe Rousseau, directeur adjoint du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux.

Lundi, le directeur général de Nymphea se plaignait dans une interview à Ouest-France : « Nous avons du mal à nous faire entendre localement. Nous nous heurtons à une sorte de protectionnisme américain », déplorait-il. « C’est un grand classique. Les Américains vont d’abord essayer de faire par eux-mêmes. Si on n’est pas introduits par les garde-côtes ou quelqu’un qui a une situation hiérarchique supérieure, c’est très difficile », assure Christophe Rousseau.

« L’expérience dans des zones marécageuses »

« Quand on dit que les États-Unis ont des bateaux pour pomper, oui, ils existent. Mais leur efficacité est très limitée. Si vous regardez toutes les grandes marées noires précédentes, le plus gros se ramassait à terre, pas en mer, répond Eric Vial. Barack Obama a dit qu’ils étudieraient toutes les solutions et que de toute façon BP paierait. Je ne vois pas comment ils pourraient se permettre de refuser à partir du moment où l’offre est dimensionnée et pertinente ». Pour Christophe Rousseau, les États-Unis risquent de toute manière de devoir appeler à l’aide pour la partie côtière : « ils n’ont pas dit comment ils comptent faire. On peut apporter quelque chose avec notre expérience dans des zones marécageuses et de mangrove. »

L’offre devra dans tous les cas transiter par la voie diplomatique et le département d’État américain… Et la France va devoir batailler pour se faire entendre dans l’embouteillage des « bonnes volontés ». Si de nombreuses entreprises américaines proposent leurs services, c’est aussi le cas au niveau international : « Nous recevons des appels de particuliers, d’entreprises, de gens qui ont utilisé des technologies alternatives, de scientifiques qui nous apportent leur expérience. Ils viennent d’Europe, d’Australie, du Japon, de Chine, de pays d’Amérique Centrale et du Sud qui font de l’exploration pétrolière, tout comme le Royaume-Uni », indique-t-on au Centre d’information commun mis en place par le gouvernement fédéral. Tous n’ont pas d’intérêt financier et cela reste pour une bonne cause. Mais l’idée selon laquelle même une marée noire est « bonne » pour le PIB se confirme plus que jamais…

- Photo : Ecocéane