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Golfe du Mexique : un Tchernobyl des mers ?
lundi, 3 mai 2010 / Julien Kostrèche

Le feu, le manque de réactivité des autorités, l’ampleur du désastre écologique : la marée noire actuelle aux Etats-Unis et l’accident de la centrale nucléaire ukrainienne en 1986 partagent de nombreux points communs…

Déployer un dôme pour contenir le pétrole qui continue de s’échapper du puits : voilà l’une des solutions actuellement retenues par le groupe BP pour faire face à la catastrophe en cours dans le Golfe du Mexique, suite au naufrage de la plate-forme Deep Water. L’image de ce dôme n’est pas sans rappeler Tchernobyl et son sarcophage, encore dans toutes les têtes. Dominique Voynet y faisait d’ailleurs directement allusion ce matin au micro de France Info. Et si la marée noire qui menace la Louisiane devenait le Tchernobyl des mers ?

Les points de similitude entre les scénarios des deux catastrophes ne manquent pas. D’abord l’explosion, puis l’incendie qu’on ne contrôle plus. Ensuite les systèmes de sécurité qui se révèlent insuffisants, les fuites dont on ne mesure pas immédiatement l’importance, le flottement des premiers jours de la part des autorités, les moyens dérisoires d’abord mobilisés et cette terrible impression que personne n’était préparé à une telle situation… Et maintenant, ces milliers d’hommes envoyés au front pour lutter contre le pétrole qui continue de s’écouler inexorablement, à 1 500 mètres de profondeur. Ces 800 000 litres qui remontent à la surface chaque jour rappellent la colonne de gaz en fusion qui s’élevait à plus de 1 000 mètres au-dessus du réacteur éventré en Ukraine. Même la nappe d’hydrocarbures qui menace de polluer toute la région et dévoile son étendue de jour en jour fait penser, sous certains aspects, au nuage radioactif de 1986. Tchbernobyl a été le plus grave accident nucléaire de notre histoire, Deep Water pourrait bien devenir son équivalent pétrolier.

Mais la comparaison s’arrête là. D’abord parce que la marée noire – sauf si la tête du puits venait à lâcher, libérant non plus 5 000 mais 100 000 barils de pétrole par jour – devrait rester limitée au Golfe du Mexique. Ce sera une catastrophe écologique nationale pour les États-Unis, mais les pays riverains devraient demeurer relativement épargnés. Alors que Tchernobyl et son nuage a fait trembler la planète entière, l’Europe en première ligne. Ensuite parce ce sont surtout la faune et la flore, et les activités humaines qui y sont liées, qui vont faire les frais de la catastrophe pétrolière. Aussi grave soit elle, elle ne représente pas de risque sanitaire majeur et direct sur les populations. Rappelons que les retombées radioactives, ce sont des milliers de cancers de la thyroïde, un nombre incalculable de malformations à la naissance et plus 300 000 enfants qui souffrent aujourd’hui des conséquences de la contamination dans la seule Biélorussie, voisine de la centrale. Enfin, la région autour de Tchernobyl va rester radioactive et condamnée pendant des milliers d’années, des centaines de milliers d’années même en ce qui concerne le plutonium qui couve toujours sous le sarcophage, alors que l’océan, même s’il en coûte la vie à certaines espèces aquatiques, viendra beaucoup plus rapidement à bout des dernières molécules de pétrole qui le souille.

S’il y a un point commun à établir entre ces deux accidents, c’est peut-être dans la réponse qu’on apportera à cette question : ces catastrophes vont-t-elle nous éclairer sur les choix à faire pour demain et les générations futures ? Le pétrole va-t-il enfin être remis en cause, dans un pays où il est roi ? Et Obama s’engagera-t-il radicalement sur la voie des énergies renouvelables, comme l’espèrent de nombreux écologistes ? Il est permis d’en douter. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy, dans un entretien qu’il a accordé à Terra eco, faisait remarquer que 20 ans après Tchernobyl, la sécurité moyenne des centrales nucléaires était jugée moins bonne qu’en 1986. Malgré la prise de conscience planétaire et sans précédent qui a découlé de cette catastrophe, en 2010, on vit toujours avec l’atome et ses dangers.

- Photo : Une plate-forme pétrolière offshore de BP, quelque part en mer. Crédit : juvertson