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Marée noire du Golfe du Mexique : « le pire cauchemar » pour BP
vendredi, 30 avril 2010 / Anne Sengès /

Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

(de notre correspondante aux Etats-Unis) - Charles Wilson, directeur du Sea Grant College de Louisiane, spécialiste de la gestion des écosystèmes marins, explique pourquoi la marée noire, provoquée par le naufrage d’une plate-forme offshore, est un désastre écologique et économique pour le Golfe du Mexique et le pire cauchemar d’un géant pétrolier comme BP.

Terra eco : Pourquoi la marée noire provoquée par l’explosion puis le naufrage de la plate-forme Deepwater Horizon est-elle si difficile à contenir ?

« L’étendue de la nappe de pétrole explique qu’il est impossible de contrôler la marée noire. Le seul moyen immédiat aurait été de réussir à colmater les fuites du puits et à ce jour les tentatives de BP - à l’aide de robots sous-marins - se sont soldées par un échec. La situation empire chaque jour avec la découverte de nouvelles fuites. On nous annonce aujourd’hui que le pétrole se déverse dans le Golfe du Mexique au rythme de 5 000 barils par jour et non plus 1 000 comme cela avait été dit la semaine dernière. La nappe a atteint les côtes de la Louisiane et notamment la réserve naturelle de Pass-a-Loutre et menace le Mississipi, l’Alabama et sans doute la Floride.

BP, les autorités fédérales et les gardes-côtes font tout ce qu’ils peuvent pour limiter son impact sur les côtes mais ils n’existent que trois solutions : déployer des bateaux qui tentent d’aspirer le maximum de pétrole, mettre le feu à la nappe afin d’enrayer sa progression - mais les autorités, après un premier essai mercredi soir, ont dû y renoncer hier car il y avait trop de vent - et enfin l’asperger de produits chimiques afin de dissoudre le pétrole. Mettre le feu n’est bien entendu pas une solution idéale : il en résulte un gigantesque nuage de fumée noire. Mais c’est tout de même mieux que de laisser le pétrole atteindre nos marais et la mangrove, écosystème particulièrement riches. »

Quelles options reste-t-il pour BP ?

« Faute d’être parvenu à activer la valve qui aurait permis de refermer le puits, les options sont limitées et BP est contraint d’essayer de contenir la marée noire du mieux qu’il peut. Une fois que la nappe de pétrole a atteint les côtes, il faudra mettre en place des stations de nettoyage et tenter de sauver le maximum d’oiseaux, dont les pélicans, en les capturant afin de les éloigner au plus vite des zones polluées et de les nettoyer. Les marécages sont particulièrement difficiles à nettoyer du fait de la nature du sol. Par exemple sur les côtes californiennes composées de pierres et de sables il est possible d’absorber le pétrole. Sur des terres marécageuses, c’est beaucoup plus difficile, le pétrole s’enfonçant dans la boue. »

Que pensez-vous de la façon dont BP gère cette crise ? Après les familles des 11 personnes disparues au cours de l’explosion de la plate-forme, c’est au tour des pêcheurs de crevettes de la région de vouloir intenter un procès au géant pétrolier.

« Je pense qu’il est bon de souligner qu’il s’agit de la première catastrophe à laquelle doit faire face l’industrie du forage qui opère dans le Golfe du Mexique. Aujourd’hui même si BP parait dépassé par l’ampleur du désastre, il met en œuvre tous les moyens possibles pour le stopper. Pour une société pétrolière, il s’agit du pire cauchemar possible et imaginable. Honnêtement je pense qu’ils étaient sincères lorsqu’ils ont estimé au départ que la marée noire semblait être contenue. La plate-forme ayant sombré à plus de 1 500 mètres de profondeur, il est très difficile de localiser et évaluer l’ampleur des fuites. La réaction des gens qui vivent de la pêche était à anticiper sachant que la marée noire met en danger crevettes, huîtres, crabes, poissons et plancton. Songez que la nation entière se nourrit de poissons et crustacés provenant de cette région. Même si la marée noire est contenue, le mal est fait. Les Américains vont hésiter à commander un plat de crevettes en provenance de Louisiane et à se rendre cet été sur les plages de Floride. L’impact économique risque d’être dévastateur pour la région. »

Quel est le pire scénario envisageable ?

« La marée noire pourrait continuer de s’étendre pendant 30 à 90 jours. A raison de 5 000 barils de pétrole déversés chaque jour dans l’océan, nous risquons donc d’être en présence d’un désastre écologique encore plus grave que la marée noire causée par l’échouage de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989. Le seul avantage que nous avons sur l’Alaska est qu’il fait relativement chaud et que les bactéries dégraderont plus rapidement le pétrole. Mais plus le pétrole se déverse et plus la nappe est épaisse, plus il faudra de temps aux bactéries pour effectuer leur travail. »

- Photo : l’étendue de la marée noire capturée par l’Earth Scan Laboratory de l’université d’Etat de Louisiane le 29 avril au soir.