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Le Blog de Terra Economica

Cette croissance qui nous envoie dans le mur

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Les médias, les grandes institutions financières internationales ne manquent pas une occasion de rappeler l’excellente santé de la croissance économique. Selon Damien Millet, président du CADTM, la vie n’est pourtant pas si rose.

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  • Toute la presse économique en parle, la prévision des experts s’étale même en Une : selon l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), le monde vit "la période d’expansion [...] la plus forte depuis le début des années 1970". La croissance mondiale devrait avoisiner 5% aussi bien en 2006 qu’en 2007, et même 7% dans les pays en développement.

    Pas une page de journal économique, pas un discours de "décideur" n’oublie de louer cette croissance providentielle qui justifie tous les sacrifices. Les grands argentiers du monde donnent en modèles la Chine et l’Inde, pays vers lesquels les délocalisations d’entreprises se multiplient, où le coût de la main d’œuvre est très bas et les conditions de travail déplorables. Mais au fait, que contient cette croissance ?

    La croissance économique d’un pays ou d’une région est directement liée aux politiques qui y sont menées. Théoriquement, à chiffre égal, elle peut ne pas avoir la même signification ici ou là. Elle pourrait refléter une amélioration des conditions de vie des populations, notamment les plus humbles, qui dès lors peuvent prendre part à l’activité économique et permettre le développement d’entreprises locales qui fournissent avant tout des biens et des services pour le marché intérieur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Très inégalitaire, elle enregistre la mainmise sur l’économie mondiale de très grandes entreprises multinationales, dont le chiffre d’affaires dépasse souvent le produit intérieur brut de certains pays, voire de continents entiers. Les clans au pouvoir dans les pays du Sud y trouvent leur compte et mettent en musique sur place la partition dictée par des chefs d’orchestre luxueusement installés à Washington, Bruxelles, Londres, Paris ou Tokyo. Les économies des pays du Sud sont donc connectées de force au marché mondial et ce sont leurs exportations qui tirent la croissance.

    Loin de favoriser l’émancipation des individus et des pays du Sud, cette croissance découle de leur subordination organisée par la mondialisation néolibérale depuis un quart de siècle. La dette en a été le vecteur : alors que les pays du Sud étaient fortement incités à s’endetter dans les années 1960-70 par les grands créanciers (banques privées, pays riches, Banque mondiale et institutions multilatérales), l’effondrement des cours des matières premières et la hausse des taux d’intérêts décidée unilatéralement par les Etats-Unis au virage des années 1980 ont précipité le tiers-monde dans la crise de la dette. Le moment était venu de serrer le nœud coulant... Depuis, la plupart des pays en développement ont dû se plier aux exigences du FMI à travers les programmes d’ajustement structurel, dont la priorité absolue est d’organiser et de sécuriser le service de la dette dans l’intérêt des créanciers. De manière habile, les remises en cause des acquis sociaux, les attaques répétées contre des mesures de justice sociale, les pires reculs en termes de solidarité collective ou de redistribution de la richesse ont été présentés par les responsables politiques comme une nécessaire modernisation, comme une indispensable adaptation à une mondialisation néolibérale érigée en référence absolue.

    Or le système économique en place actuellement n’a rien d’immuable, il résulte au contraire de choix bien précis imposés par ceux qui en profitent. La Chine et l’Inde, tant vantées, n’ont pas appliqué à la lettre les recommandations du FMI et de la Banque mondiale, loin de là. Le discours officiel affirme que la pauvreté (dont les critères sont toujours fixés par des non-pauvres...) se réduit légèrement au niveau mondial, alors que si on excepte ces deux pays, le nombre de pauvres est en pleine... croissance ! Les tenants d’une croissance économique à tout prix se gardent bien de faire savoir qu’elle peut tout à fait se révéler appauvrissante.

    De surcroît, la planète ne pourrait pas supporter longtemps que tous les continents connaissent une croissance aussi soutenue que la Chine, de l’ordre de 10% par an, avec tous les dégâts environnementaux, humains et sociaux qu’elle entraîne dans son sillage. Certains spécialistes affirment même que si les Chinois possédaient et utilisaient en moyenne la voiture comme le font les Occidentaux, la totalité de la production pétrolière mondiale devrait se diriger vers l’Asie...

    La croissance effrénée prônée par le système actuel ne peut pas être éternelle. De ce fait, elle est obligée de devenir folle pour perdurer, de créer sans cesse de nouveaux désirs de consommation, de polluer pour dépolluer (par exemple l’eau) et de détruire pour reconstruire (par exemple l’Irak). Le tsunami de décembre 2004 aura été positif pour la croissance de l’Asie, puisque les zones industrielles n’ont pas été touchées et que la reconstruction s’avère longue et coûteuse.

    Dans ces conditions, la recherche aveugle de la croissance ne peut que broyer l’être humain, mais cette évidence économique est tue car elle touche au cœur même d’un modèle qui se révèle incapable d’intégrer sérieusement tant la donne environnementale que la donne sociale. Dès lors, cette croissance-là ne peut pas être, et ne doit pas être, l’indicateur absolu de la bonne santé du monde.

    * Damien Millet est président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM)

    20.09 à 19h46 - Répondre - Alerter
    • Ho, Terra, où est passé l’Economica ?

      "la Chine et l’Inde, [...] où le coût de la main d’œuvre est très bas et les conditions de travail déplorables" ? Aujourd’hui, ce sont entre 200 et 300 millions de chinois qui ont un niveau de vie équivalent au nôtre : tous ne suent pas sang et eau dans des ateliers sordides... et une classe moyenne indienne émerge aussi.

      "Loin de favoriser l’émancipation des individus et des pays du Sud, cette croissance découle de leur subordination organisée par la mondialisation néolibérale depuis un quart de siècle". On voit bien d’où vient le discours, il n’empêche : à Cuba, en Corée du Nord, au Laos, au Zimbabwe, peu de mondialisation, et peu d’émancipation quand même...

      "l’effondrement des cours des matières premières et la hausse des taux d’intérêts au virage des années 1980 ont précipité le tiers-monde dans la crise de la dette" Coucou, nous sommes en 2006, les pays qui étaient vraiment dans la mouise noire (p.ex. Sub-Sahara) ont eu tout ou bonne partie de leur dette effacée, les cours des matières premières n’en finissent pas de battre des records, les taux d’intérêt restent très bas depuis plus de cinq ans (y compris -fait remarquable- les primes auparavant appliquées aux pays émergents), et des pays comme le Nigeria remboursent leur dette par anticipation ou en émettent de la nouvelle !

      "exigences du FMI à travers les programmes d’ajustement structurel, dont la priorité absolue est d’organiser et de sécuriser le service de la dette dans l’intérêt des créanciers" et justement la semaine dernière le FMI vient de réformer ses règles de gouvernance, lui et la Banque Mondiale ne sont plus aussi hostile à des iconoclastes comme la Malaisie qui avaient institué le contrôle des changes en 1997-98 (crise asiatique), et même le patron de le Réserve Fédérale américaine dit qu’il faudrait réduire les inégalités...

      "Le discours officiel affirme que la pauvreté (dont les critères sont toujours fixés par des non-pauvres...) se réduit légèrement au niveau mondial, alors que si on excepte ces deux pays, le nombre de pauvres est en pleine... croissance ! " La population aussi... De plus il est difficile d’une part de critiquer le thermomètre ("la croissance ne veut rien dire..."), et d’autre part de dire qu’on a la fièvre ("...mais il n’y en a pas assez pour les pauvres").

      "Dès lors, cette croissance-là ne peut pas être, et ne doit pas être, l’indicateur absolu de la bonne santé du monde." Cela, et seulement cela, est parfaitement exact : il faut effectivement que les indicateurs de PIB et PNB (la croissance n’est qu’un ratio comparant 2 instants différents) prennent mieux en compte les aspects & impacts environnementaux et sociétaux de l’activité humaine.

      A ce sujet l’OCDE a produit cette année un papier très intéressant sur les "indicateurs de bien-être".

      P.H.

      Voir en ligne : http://www.oecd.org/dataoecd/26/61/...

      21.09 à 14h35 - Répondre - Alerter
      • Il est clair que la situation devrait être évaluée au cas par cas, pays par pays. Affirmer que dans les pays en voie de développement, tout va de plus en plus mal, sauf pour une minorité me semble particulièrement spécieux.

        Affirmer que globalement, ça va mieux presque partout semble louche à beaucoup. Mais revenons en 1973. Il y avait des famines en Inde. Aujourd’hui il n’y en a plus guère que dans des pays en guerre.
        Des gens mouraient de la variole, du choléra, étaient massivement touchés par la polio. Aujourd’hui, c’est vrai, le sida ravage l’Afrique insidieusement.
        Des populations entières ne bénéficiaient d’aucun système d’éducation, ni de santé, dans des régions de la quasi-totalité des pays en voie de développement : On a fait d’énormes progrès sur ce point.
        L’espérance de vie a beaucoup progressé, à l’exception des pays les plus fortement touchés par le sida. Les progrès sont énormes pour un très grand nombre de pays.

        Aujourd’hui les maladies tropicales font encore obstacle au démarrage du développement. Les pays les plus touchés par ces maladies ont du mal à décoller. Le paludisme, la maladie du sommeil ne régressent pas. Mais l’onchocercose recule, l’hygiène progresse, de nombreuses maladies comme la lèpre sont soignées.

        La guerre existe encore, les réfugiés sont nombreux, mais des organisations comme l’ONU et l’OUA envoient, tardivement il est vrai, des forces de maintien de paix là où ça va mal.

        En 1973, la décolonisation n’était pas terminée, l’argent et les forces militaires des pays riches étaient occupés par la guerre froide qui faisait perdurer nombre de conflits. Dans de nombreux pays, l’application de systèmes politiques inadaptés faisait gravement obstacle au développement.

        Alors non, ne boudons pas notre plaisir : Dans la plupart des pays du monde, actuellement, la croissance économique dépasse la croissance démographique.

        Ce n’est pas si mal. Espérons que cette évolution surpasse celle des armes...

        21.09 à 22h53 - Répondre - Alerter
      • 1. / Oui une classe moyenne, encore peu nombreuse, émerge en Chine, mais
        même si on retient le chiffre de 300 millions de personnes, il en reste
        plus de 1 milliard qui trime dur... Ce que j’appelle la logique de la
        dette ne consiste pas en un affrontement Nord/Sud, mais en une
        opposition entre ceux qui profitent de cette logique et de ceux qui la
        subissent. C’est trop rapide de dire que 300 millions de Chinois en profitent,
        la plupart d’entre eux commencent en fait seulement à s’en sortir à peu
        près dignement, mais au Nord comme au Sud, un certain nombre
        d’individus tire profit d’un système qui enfonce la plupart des autres.

        2. / Sur la provenance du discours et sur les pays cités :
        - pour le premier point, le discours provient de mes réflexions
        personnelles et n’y voyez l’instrumentalisation d’aucune obédience quelle
        qu’elle soit, hormis le CADTM où je milite activement
        - pour le second, les pays cités n’y changent rien, quelles que soient
        les critiques, justifiées ou non, dont ils font l’objet, la
        mondialisation néolibérale organise une subordination de la grande majorité des
        pays ; je note d’ailleurs que le Venezuela ou la Bolivie ne sont pas
        cités mais passons...

        3. Je sais que nous sommes en 2006, mais un rappel historique peut être
        utile et je décrivais les évènements liés à la crise de la dette de
        1982, cela me semble clair. Alors pour reprendre l’expression de mon
        contradicteur : Coucou, le noeud coulant de la dette a été serré au virage
        des années 1980 et cela a conditionné le quart de siècle qui vient de
        s’écouler. La dette de 19 pays a été réduite (et non supprimée), ce qui
        est très peu (sur un total de 165 pays en développement, et de 53 pays
        africains officiels - sans compter la République sahraouie), mais ils
        ont chèrement payé pour y avoir droit : entre 4 et 6 ans d’ajustement
        structurel, parfois plus. Ils sont toujours soumis aux diktats des IFI.
        Quant aux remboursements par anticipation de la part des pays
        émergents, je vous reporte à un article très complet sur ce sujet présent sur
        le site du CADTM

        4. / Avouez que la réforme du FMI discutée la semaine dernière est de la
        réformette, que les iconoclastes comme Stiglitz ou Kanbur ont dû
        démissionner de la Banque mondiale il y a quelques années, que ces
        institutions en perte de vitesse et de légitimité actuellement font pâle figure
        et sont très loin d’être des modèles de quoi que ce soit tandis que
        leurs conditionnalités sont toujours bien présentes... Au fait, le FMI est
        il plus favorable qu’en 1997-1998 à la création d’un Fonds monétaire
        asiatique qui échapperait à son contrôle ? Acceptera-t-il des hausses de
        salaire conséquentes pour la fonction publique si un gouvernement dans
        un pays du Sud était élu pour mettre cela en pratique, ou fera-t-il
        pression pour le faire plier comme au Guyana il y a qqs années entre autre ? etc. etc.

        5. / Où ai-je écrit qu’il n’y aurait pas assez de cette croissance pour
        les pauvres ? Déplorer l’extrême pauvreté revient-il forcément à vouloir
        la croissance de cette mondialisation là ?

        6. / L’OCDE est un instrument au service des pays riches et des
        politiques de libéralisation à tout va qu’ils prônent.
        Très cordialement

        *Damien Millet est président du CADTM

        22.09 à 09h35 - Répondre - Alerter
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