https://www.terraeco.net/spip.php?article6969
Précaution sur l’eau : on en fait trop ?
mardi, 8 septembre 2009 / Louise Allavoine

André Cicollela, chercheur français en santé environnementale et spécialiste de l’évaluation des risques sanitaires, revient sur deux études qui ont défrayé la chronique en 2009 : l’une sur l’eau du robinet, l’autre sur l’eau en bouteille.

Terra Eco : Que vous pensez de la campagne lancée par le Guérir.fr pour alerter les malades du cancer sur les risques des polluants contenus dans l’eau du robinet, alors même qu’aucune étude épidémiologique ne prouve un lien entre consommation d’eau du robinet et aggravation du cancer ? Il y a-t-il danger selon vous ?

André Cicollela : Je n’ai pas signé cet appel même si j’apprécie le travail du docteur Servan Schreiber, parce que je considère qu’il aurait fallu mener une instruction plus poussée avant de la lancer. Mais il a raison. Il faut s’interroger sur l’eau comme vecteur de contamination des épidémies de cancer. On se concentre souvent sur les nitrates et les pesticides, mais il existe un autre enjeu, très important lui aussi, celui des perturbateurs endocriniens. Des données récentes montrent que le bisphenol est aujourd’hui le polluant le plus trouvé dans l’eau du milieu. Et son effet de perturbateur endocrinien est aujourd’hui incontestable. On sait aussi qu’il atténue l’efficacité des traitements du cancer. Il est absolument nécessaire de regarder ce qu’il en est pour l’eau à la sortie du robinet.

L’académie de médecine dénonce l’utilisation du principe de précaution à outrance. Qu’en pensez-vous dans ce cas précis, et de manière générale ?

L’Académie de médecine est toujours profondément opposée au principe de précaution. Elle a été au moment de son adoption (le principe de précaution est affirmé dans dans l’article L. 110-1 du Code de l’environnement dont les livres ont été publiés entre août 2005 et mars 2007,ndlr.). L’appel de Guerir.fr a le mérite de remettre le sujet sur le devant de la scène.

Vous défendez la création du statut de lanceur d’alerte. De quoi s’agit-il ?

C’est l’idée qu’un citoyen (ou un groupe de citoyen) qui constate un dysfonctionnement puisse prendre l’initiative de le mettre sur la place publique parce qu’il considère que sa responsabilité envers la société est engagée. Dans la démocratie, il faut qu’il y a ait un espace donné aux lanceurs d’alertes. On sait que nos institutions sont faibles. Ce n’est pas le ministère de la Santé ou celui du Travail qui ont sorti des affaires comme l’amiante. Le lanceur d’alerte doit être reconnu et protégé.

Ce dossier avait été pris en compte au moment du Grenelle de l’environnement, où en est-il ?

Le principe de la création d’une Haute autorité était passé à l’unanimité dans les engagements du Grenelle. Il aurait dû être directement être transcrit dans la loi. Mais par un tour de passe passe du Meeddat, il a disparu du texte. Finalement, le gouvernement a demandé un rapport pour étudier l’opportunité de la création de cette autorité. C’est mieux que rien mais ça reporte tout d’un an.

Le site Net Santé et environnement remet en cause l’intégrité du WWF dans cette campagne étant donné ces liens avec l’industrie de l’eau minérale, Danone et Coca-Cola en particulier. Comment garantir l’indépendance d’un lanceur d’alerte ?

C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait une Haute autorité indépendante pour vérifier la légitimité des alertes. Toutes ne sont évidemment pas pertinentes ou légitimes, il faut trier.

Une autre étude, concernant la migration de perturbateurs endocriniens dans l’eau des bouteilles en PET, a été démentie depuis par l’Institut fédéral allemand des risques, et par la Chambre syndicale des eaux minérales. Est-il avéré qu’il s’agissait d’une fausse alerte ?

Je ne pense pas. La question n’est évidemment pas tranchée. Mais ce travail a été effectué par des gens sérieux qui ont beaucoup publié sur le sujet. Il n’y a pas de raison d’empêcher que la question soit posée. Il faut évident que ce soit validé par d’autres études.

Mais on peut à la limite comprendre la réaction de l’industrie pour qui les conséquences d’une alerte comme celle-ci, alors que l’on ne sait pas finalement, s’il y a danger ou non, peuvent être désastreuses...

Bien-sûr. Il est légitime pour l’industrie de s’exprimer sur le sujet. Mais ce qui me gêne c’est que l’on considère qu’elle puisse donner le LA sur les politiques de santé publiques. Se contenter de la position de l’industrie, c’est bien ce que je reproche aux pouvoirs publics.

Eau du robinet et eau en bouteille : deux études polémiques

Rappels des faits

L’eau du robinet, dangereuse pour les malades du cancer ?

- Fin juin, le WWF et le site web Guérir.fr lancent une vaste campagne de communication pour alerter la population sur les risques des polluants contenus dans l’eau pour les malades du cancer. Cet appel à la vigilance est signée par une impressionnantes liste de scientifiques réputés et s’appuie sur une compilation de 86 documents plus ou moins récents, de sources diverses. Problème : aucune de ces études ne fait le lien entre consommation de l’eau du robinet et cancer. Ce que l’épidémiologiste Annie Sasco, qui fait partie des signataires reconnaît volontiers : "il n’y a pas d’étude épidémiologique sur le rôle de l’eau comme facteur d’aggravation du cancer, mais nous savons qu’il peut y avoir dans l’eau des composés potentiellement cancérigènes", confiera-t-elle au Monde le 2 juillet.

- 23 juin, le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France publie une interview du docteur David Servan-Schreiber, qui dirige Guerir.fr, intitulée : "Malades du cancer, ne buvez pas l’eau du robinet". Il n’en faut pas plus pour faire sortir de leurs gonds les Académies de médecine et de pharmacie ainsi que l’Académie de l’eau qui, dans une mise au point publiée le 2 juillet se déclarent "scandalisées" par ces recommandations. Le médiatique médecin dira ensuite regretter le titre réducteur et abusif de l’article du Parisien. L’Académie de médecine dit ne plus supporter cette "tactique qui consiste à lancer une alerte, arguer du principe de précaution et évincer la démarche scientifique" rapporte Le Monde.

- Le 13 août, le site Net Santé et environnement, publie une enquête qui dénonce une possible collusion entre le WWF et les industriels de l’eau minérale. Le magazine professionnel juge étonnant que l’alerte lancée par l’association environnementale et le docteur Servran-Schreiber servant directement les intérêts de Danone et Coca-Cola. Alors même que ces derniers sont des partenaires du WWF sur plusieurs projets.

Le plastique des bouteilles d’eau libère-til des perturbateurs endocriniens ?

- Début mars 2009, des toxicologues de l’Université Goethe de Francfort (Allemagne) publient une étude révélant une activité hormonale élevée dans les eaux minérales en bouteilles plastiques. "Dans 12 des 20 eaux minérales analysées, les scientifiques ont mesuré une activité œstrogénique à laquelle ils ne s’attendaient pas dans un produit alimentaire soumis à des contrôles sévères." rapporte bulletins-electroniques.com le 25 mars. Selon les chercheurs, au moins une partie de ces hormones proviendrait de l’emballage plastique, puisque les bouteilles en verre présentent, elles, une activité hormonale deux fois moins élevée. Cette contamination hormonale présente-t-elle un risque pour la santé ? L’étude ne le conclue pas, les hormones en question n’ayant pas été identifiées. Néanmoins, ces résultats ont de quoi faire peur. Les œstrogènes étant des hormones sexuelles femelles pouvant perturber l’équilibre hormonal.

- 23 mars, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), organisme rattaché au ministère de l’Agriculture, émet un avis indiquant que "les substances utilisées pour la fabrication du PET ne peuvent pas entraîner d’activité œstrogénique" et conteste la méthode employée par les scientifiques de l’Université de Francfort.

- 20 avril, l’industrie des eaux minérales, qui flaire le danger, réagit. Sa Chambre syndicale, qui compte parmi ces membres Nestlé Waters, Saint-Amand, Volvic ou encore Watttwiller, met d’emblée les points sur les "i" dans un communiqué : "L’étude de l’Université de Francfort sur les bouteilles en PET n’est pas crédible" écrit-elle. Elle s’appuie sur l’avis du BfR et les calculs du médiatique Professeur Jean-François Narbonne, expert à l’Afssa, pour le démontrer : "Il est impossible d’avoir des teneurs d’un tel niveau dans l’eau minérale en dehors d’une forte contamination externe. Le test utilisé est totalement inadéquat pour mesurer les contaminations en perturbateurs endocriniens dans les eaux potables et donne des chiffres en totale contradiction avec les données de la littérature.".

A lire et à voir sur Terra eco :
- Le biberon au Bisphenol A en eaux troubles
- Le dilemme : eau du robinet ou eau en bouteille ?
- Vidéo : Les Apprentis Z’écolos et la bouteille d’eau

Photo : © DR