Le débat public sur les nano-technologies est ouvert. Dorothée Benoit Browaeys, auteur du livre "Le meilleur des nanomondes" et déléguée générale de l’association Vivagora revient sur les enjeux de ces technologies encore obscures pour le commun des mortels, comme pour les scientifiques.
Terra eco : sommes-nous déjà dans le nanomonde sans le savoir ?
Dorothée Benoit Browaeys : "Il y a déjà énormément de produits sur le marché. Mais comme il n’y a pas d’obligation de les signaler, le tsunami est invisible. Les nano-technologies transforment quelque chose de banal en un matériau aux propriétés nouvelles, mais personne ne voit la différence. Par exemple, quand on vous vend des chaussettes anti-odeur, un clavier d’ordinateur antiseptique, des objets auto-nettoyants, vous pouvez être sûr qu’il y a des nano-technologies dedans."
Quel est le problème ?
"On sait très bien qu’il y a des risques nouveaux. L’ajout de nano-particules fait que les produits ne se comportent pas de la même manière. Ils ne sont pas forcément plus toxiques, ils peuvent même l’être moins. Le titane est utilisé depuis longtemps pour les crèmes solaires. Mais du coup celles-ci sont blanchâtres. Le nano-titane, lui, rend l’écran transparent et à 60 nm il est aussi plus efficace. On est très content ! Sauf qu’on n’est pas sûr qu’il n’y ait pas des effets de pénétration... La grande difficulté, c’est de savoir quelle est la différence, s’il y en a vraiment une."
Où en est la recherche aujourd’hui ?
"Les spécialistes des normes se sont mis au travail pour essayer de caractériser ces produits. Mais on n’est pas sorti de l’auberge car il y en a des milliers de sortes. Prenez les nano-tubes de carbone : selon qu’ils sont très courts et souples ou allongés et extrêmement rigides ce n’est pas du tout pareil. C’est une vraie jungle ! Il faut ne faut plus regarder que la nature chimique du composé mais aussi son organisation dans l’espace. L’OCDE s’occupe en ce moment d’étudier 14 produits des quatre grandes catégories que sont les nano-tubes de carbone, le nano-titane, la nano-silice et le nano-argent, qui représente à lui seul 50% des utilisations. Les résultats commencent à tomber, mais il y a eu un retard à l’allumage sur ces études de risques qui ont eu peu de financements par rapport aux produits en eux-mêmes."
Et la réglementation ?
"Un article de la loi Grenelle II demande que les industriels déclarent obligatoirement s’ils fabriquent des nano-technologies. Mais il faut voir comment cela sera mis en œuvre, car les juristes disent que c’est inapplicable. On peut jouer au chat et à la souris longtemps. Le Parlement européen a lui récemment demandé à la Commission européenne de revoir toute la législation alors que celle-ci disait ’circulez rien à voir’. C’est déjà le cas pour les cosmétiques et les aliments."
Quel est l’enjeu du débat public lancé en France ? Qu’en attendez-vous ?
"Je ne sais pas si on peut appeler ça un débat puisque l’un des buts premiers sera surtout d’informer. Le président de la commission, Jean Bergougnoux, l’a dit : son objectif est d’identifier tous les points de vue de rendre un rapport qui explique les questionnements des gens. C’est mieux que rien, mais il ne faut pas se tromper de but, cela ne suffit pas. Chacun voit les choses suivant sa compréhension du dossier. Vivagora, qui existe depuis 2003 et a donc un peu de recul sur la question, voulait surtout une négociation, une concertation, pour que l’innovation ne soit pas pilotée par des intérêts à court terme. Le vrai problème, c’est de ne pas laisser débouler ces technologies sans se poser la question de leur usage. Les nano-technologies, c’est très bien : dans un contexte de crise environnementale, on peut améliorer le rendement des cellules photovoltaïques, faire des filtres à eau... Mais que l’on dise clairement quels buts on poursuit ! Le nano-argent a par exemple des propriétés antiseptiques. Intéressant. Mais ne faudrait-il pas le réserver aux personnes hospitalisées qui ont des systèmes immunitaires faibles, plutôt que de le banaliser ? Car il tue toutes les bactéries, y compris celles qui sont utiles comme dans les stations d’épuration."
Ce serait une révolution...
"Aujourd’hui, je ne crois pas que cela soit possible dans le cadre de la commission du débat public. Mais c’est l’ambition de l’association Vivagora : mettre en place des commissions aux côtés des industriels qui peuvent donner leur avis pour infléchir les choses. Cela implique d’aller plus loin que la dynamique de responsabilité sociale des entreprises. C’est un vrai changement de cap."
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Photo : nano-tubes de carbone. Crédit : St Stev