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Non, le maïs n’est pas un assoiffé
mercredi, 25 mars 2015
/ Amélie Mougey
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La céréale est défendue par l’industrie agricole qui vante sa sobriété en eau. Si elle boit effectivement moins que dans notre imaginaire, elle n’est pas adaptée à notre climat.
Et si pour en finir avec Sivens et les tensions liées à l’irrigation, il suffisait de régler son compte au maïs ? Inquiète d’entendre cette musique se répandre chez les opposants au projet de barrage dans le Tarn, l’industrie agroalimentaire fait bloc pour défendre sa céréale fétiche. « Le maïs est la culture qui consomme le moins d’eau (…), qui produit le plus d’énergie à l’hectare. C’est une utilisation optimale des talents de la nature », assurait Christian Pèes, président de la coopérative agricole Euralis, le 23 février sur France Inter.
Le maïs serait donc la plus frugale des céréales ? Le ballet des jets d’eau qui accompagne les balades estivales dans le Sud-Ouest suggère pourtant l’inverse. « Le blé consomme plus, le soja consomme plus, toutes les plantes consomment plus que le maïs, poursuivait Christian Pèes. Simplement, lui, il consomme l’eau en été. » Les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) lui donnent presque raison. Sur l’année, le maïs sirote 5 750 m3 d’eau par hectare (soit l’équivalent d’un peu plus de deux piscines olympiques), alors que le soja en boit 6 370 m3. Il est en fait au coude-à-coude avec le blé, qui réclame ses 5 500 m3 annuels, et loin devant le sorgho, qui n’en demande que 4 750 m3. Le maïs se situe bien parmi les plantes les moins assoiffées.
Le hic, c’est que ces moyennes, faisant fi des saisons, ne disent rien de sa compatibilité avec le climat français. « Contrairement au blé, qui pousse en hiver, le maïs a besoin d’eau lorsque cette ressource est la plus rare, précise Simon Giuliano, ingénieur spécialiste des productions végétales. Et comme le maïs valorise très bien la lumière, on le plante dans le sud de la France, où le stress hydrique est plus fort qu’ailleurs. » Ainsi, sur les trois millions d’hectares cultivés en France, 600 000 sont irrigués, selon l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). « Le maïs est une plante tropicale qui aime la chaleur et l’humidité », rappelle Jean-Claude Bévillard, vice-président de France Nature Environnement, en charge de l’agriculture. « Au niveau de l’équateur, là où il pleut toutes les nuits, cette culture est bien adaptée », renchérit Josian Palach, trésorier de la Confédération paysanne. Mais en France, pays pluvieux quand il fait froid, sec quand il fait chaud, le maïs s’éloigne de l’« utilisation optimale des talents de la nature » vantée par Christian Pèes.
Performances accrues
« L’affirmation est correcte dans une logique purement industrielle, corrige Jean-Claude Bévillard. Eau, lumière, engrais, le maïs utilise au mieux les sources d’énergie à sa portée. » A l’AGPM, Jean-Paul Renoux, conseiller technique, confirme : « La maïsiculture est très efficiente. Même sans irrigation, sa production est supérieure de 30 quintaux à l’hectare à celle du blé. » Des performances encore accrues lorsque l’homme intervient. En Aquitaine, l’irrigation peut doubler les rendements. De quoi être tenté d’en abuser. La super-productivité du maïs n’est toutefois pas innée. « C’est sans doute l’espèce végétale qui a été le plus modifiée par l’homme », explique Simon Giuliano. Pourtant, n’en déplaise à Christian Pèes, le maïs n’est pas encore la plante suprême. « Le sorgho a des capacités similaires pour deux fois moins d’irrigation », poursuit l’ingénieur.
Au défi de l’eau s’ajoute celui de la terre. « Le maïs laisse les sols à nu d’octobre à avril, précise-t-il. Cela pose des problèmes d’érosion et facilite l’infiltration des produits chimiques. » Seule parade : la culture en rotation, avec mise en prairie ou introduction de céréales ou légumes d’hiver. « Le maïs en soi n’est pas mauvais, c’est la monoculture irriguée, longtemps favorisée par les aides de la Politique agricole commune, qui pose problème, nuance Jean-Claude Bévillard. Sans compter l’usage qui en est fait. » « Le principal débouché du maïs est l’alimentation animale », reconnaît l’AGPM. Or, produire une calorie animale nécessite entre quatre et douze calories végétales, selon la FAO. Déjà bancale, l’utilisation optimale des ressources ne tient plus. Sans compter que le maïs ne suffit pas à couvrir les besoins de l’animal. « Pauvre en protéines, il doit être combiné avec du soja, souvent importé et parfois OGM », explique Simon Giuliano. A ce stade, « les talents de la nature » sont sortis de l’équation.