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C’est dans les vieux herbiers qu’on fait la meilleure science
jeudi, 5 décembre 2013
/ Alexandra Bogaert
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A Paris, le plus grand herbier au monde vient de rouvrir. L’intérêt des scientifiques pour ces feuilles séchées, mémoires de la biodiversité, s’est renforcé ces dernières années.
Aller cueillir des fleurs colorées et des feuilles biscornues, les presser entre deux feuilles de papier puis les coller, sèches, dans un cahier. Indiquer ensuite de sa plus belle écriture le lieu de cueillette, la date et, si on l’a identifiée, l’espèce. B.a.-ba de la botanique, l’herbier faisait partie du tronc commun de connaissances à acquérir à l’école jusque dans les années 70. Un enseignement devenu caduque. Aujourd’hui, la vieille branche reverdit : du haut de ses 363 printemps, le plus grand herbier du monde, à Paris, vient de faire peau neuve.
Situé depuis 1935 en bordure du jardin des plantes, l’Herbier national du Muséum d’Histoire naturelle a rouvert ses portes fin novembre après quatre années de rénovation. Quatre ans, c’est le temps qu’il a fallu pour moderniser et restructurer ce vieux bâtiment, mais aussi pour revoir le classement des huit millions de spécimens de plantes, de fleurs, d’algues et de graines ramenés d’expéditions aux quatre coins du monde, et entamer leur numérisation. A ce jour, six millions d’échantillons ont été numérisés, et sont désormais disponibles via Internet aux chercheurs du monde entier. Et pas qu’aux botanistes.
Car un herbier ne sert pas qu’à décrire le plus finement possible les caractéristiques d’une plante, avant de la nommer puis de la ranger sous une chemise de couleur différente, dans une travée bien définie, en fonction de son appartenance à une classe, une famille, une espèce. Un corpus de données fiables sur les plantes est indispensable pour la recherche dans de nombreuses disciplines : l’écologie bien sûr, mais aussi la pharmacologie, la cosmétique, l’allergologie, etc. Un exemple : « Si l’on sait qu’une plante renferme une molécule qui a des propriétés intéressantes, comme le ricin dans les traitements contre le cancer, un laboratoire de pharmacologie peut alors choisir d’explorer des végétaux qui contiennent les mêmes propriétés », expose Odile Poncy, botaniste du Muséum qui a supervisé le chantier de rénovation des collections.
L’intérêt scientifique pour les herbiers ne s’est jamais démenti. Depuis une dizaine d’années, le séquençage génétique du génome des plantes est venu compléter et affiner les connaissances. « Avant, on ne faisait que regarder les effets du génome sur la morphologie extérieure d’une plante, à travers son étude très fine, à la loupe. Mais l’aspect de la plante est toujours influencé par les conditions dans lesquelles elle a poussé : pas assez de pluie, trop de soleil, etc. Désormais, on va aussi voir directement le génome, ce qui nous permet d’obtenir les caractéristiques intrinsèques de la plante tout en s’affranchissant des éléments secondaires, comme la météo, résume Odile Poncy. L’étude de l’ADN permet ainsi de comparer les espèces directement à la source, et d’être plus précis sur leur généalogie, et sur leur évolution. »
Une précision qui a chamboulé le classement de certaines plantes. Jusqu’à il y a peu, le platane et l’érable étaient rangés côte à côte dans les vieilles étagères de l’Herbier national. Idem pour le lotus et le nénuphar. Mais l’ADN a parlé, et révélé que le platane est plus proche du lotus que de l’érable et que le nénuphar est en réalité très éloigné du lotus ! « L’ADN n’a pas révolutionné l’ensemble des classements mais, c’est vrai, il a provoqué des divorces et des recompositions », explique la botaniste. Il y a même eu « quelques scoops », qui ont fait tomber des classifications bien établies.
On pensait jusqu’à il y a peu que les plantes à fleurs se divisaient en deux catégories : celles qui n’ont qu’un cotylédon (cette toute première feuille constitutive de la graine), et celles qui en ont deux. Les premières étaient rangées avec le riz et le blé, les secondes avec les haricots. En définitive, « cette grande division considérée comme bien solide est tombée car toutes les lignées des plantes à fleurs sont dicotylédones ». Une découverte qui s’est transformée en casse-tête pour Odile Poncy, quand il a fallu repenser le classement des milliers de plantes à fleur au sein du bâtiment.
L’Herbier national pourrait également éclairer les chercheurs sur l’impact du changement climatique sur la flore. Un pan de la recherche jusqu’ici négligé. « Il n’existe pas, à ce jour, de travaux utilisant les herbiers à cette fin mais le potentiel est énorme », poursuit la chercheuse. En effet, étudier les spécimens de plantes prélevées à un endroit donné à travers les siècles permettrait d’avoir une idée précise de l’évolution de la biodiversité en lien avec le changement climatique. Une entreprise impossible à mener pour les espèces exotiques - le Muséum ne dispose que de quelques spécimens - mais tout à fait envisageable pour la flore française et européenne. Dans les étagères de l’Herbier, les échantillons de ronces, de thym et de centaurées sont pléthoriques... et se sont encore étoffés ces quatre dernières années, puisqu’un million de nouveaux spécimens, stockés dans du papier journal depuis des décennies, ont été enregistrés. Les deux-tiers ont été cueillis dans l’Hexagone – dont une collection de plantes de la région parisienne datant de 1735. De quoi en apprendre davantage sur l’accélération du changement climatique due à l’activité humaine...