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Un expert canadien veut motiver l’Europe contre le lobby pétrolier
mercredi, 22 mai 2013
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
L’économiste Mark Jaccard est venu défendre à Bruxelles la directive européenne sur la qualité des carburants. Et montrer que les Canadiens, contrairement à leur gouvernement, sont prêts à lutter contre le changement climatique.
Ce jour de mai, la pluie a fait un break dans les jardins de la Maison de l’Amérique latine. Mark Jaccard est installé à une table, vin chilien à la main. Economiste spécialisé des questions environnementales et professeur à l’université Simon Fraser à Vancouver, il a contribué aux travaux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), a conseillé les huiles chinoises et canadiennes sur les politiques énergétiques.
L’homme a débarqué sur le continent européen en compagnie de James Hansen, ex-climatologue de la Nasa que nous avions rencontré à la fin de l’année 2010. Les deux hommes sont venus pour défendre, auprès des parlementaires européens, la directive européenne sur la qualité des carburants. Adoptée en 2009, celle-ci n’a toujours pas été mise en œuvre. Elle vise à réduire de 6% les émissions de gaz à effet de serre des carburants employés dans les transports d’ici à 2020 par rapport à 2010. Son principe est simple. A chaque mégajoule d’hydrocarbure extrait de la terre (pétrole brut, huile de sables bitumineux, huile de schiste, charbon transformé en fuel liquide, gaz naturel converti en fuel liquide et déchets plastiques…) est attribué une quantité de CO2 émis. Exemple : une mégajoule de pétrole brut émet ainsi 87,5 grammes d’équivalent CO2, contre 107 grammes pour les sables bitumineux, extraits notamment dans les terres canadiennes de l’Alberta, extraits notamment dans les terres canadiennes de l’Alberta. Les industriels devront donc, pour atteindre l’objectif de 6%, privilégier les carburants plus propres. Mais la directive tarde à entrer en vigueur. Que vient donc faire Mark Jaccard dans cette galère ?
Il faut rappeler une chose : pour le gaz ou le pétrole conventionnel, les émissions sont en grande partie imputables au consommateur. C’est quand il prend sa voiture que ces hydrocarbures polluent le plus. Dans ce cas, c’est sur l’efficacité énergétique des voitures qu’il faut travailler. En revanche, pour les hydrocarbures non-conventionnels, on émet surtout au moment de la production : de l’extraction au raffinage. C’est pour cela que la directive sur la qualité de carburants est intéressante.
Les industriels veulent de nouveaux oléoducs mais aussi de nouveaux marchés. Aujourd’hui le Canada a peur que personne ne veuille plus de son pétrole. Avec les sables bitumineux, les Canadiens produisent 2 millions de barils par jour, et avec les projets déjà dans les tuyaux, ils devraient produire le double dès 2025 et même 6 millions en 2035. La production augmente alors que la consommation baisse à cause de la crise et de l’augmentation de l’efficacité des véhicules…
C’est contraire à la théorie habituelle du pic pétrolier, selon laquelle on va manquer de ressources ?
Quand je faisais mes études en France (Mark Jaccard a fait sa thèse à l’université de Grenoble, ndlr), on nous disait que la croûte terrestre regorgeait d’énergies fossiles et que l’ingéniosité humaine permettrait de toujours aller les chercher même au plus loin. L’histoire s’est déroulée ainsi. L’augmentation des prix du pétrole a soutenu l’innovation. Il y a tellement d’énergies fossiles que – de mon point de vue d’économiste – il n’y a pas de pic. Tout dépend en fait de la définition que vous donnez d’un hydrocarbure. Elle n’arrête pas de changer. Avant, les hydrocarbures offshore étaient dits non-conventionnels. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Et globalement ça n’a pas vraiment d’importance. Notre problème n’est pas le manque de ressources mais le trop-plein. Il faut arrêter d’aller chercher ces hydrocarbures. L’important n’est pas le pic de ressources mais la nécessité d’atteindre un pic d’émissions.
C’est pour cela que vous êtes venus rencontrer les parlementaires…
Oui. Mais aussi parce qu’il me semblait important que l’UE entende un autre son de cloche canadien que la voix du gouvernement et des lobbys. En réalité, le Canada est très divisé sur la question des sables bitumineux. Vous savez, notre système électoral n’est pas un système à la proportionnelle. Cela signifie que notre gouvernement fédéral actuel détient 60% des sièges avec seulement 39% des voix. Les quatre autres partis : le bloc québécois, les Verts, les sociaux démocrates et les Libéraux représentent donc 61% des voix. Or, tous ceux-là voulaient rester dans le protocole de Kyoto (le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto en décembre 2011, ndlr), ne veulent pas d’extension de l’exploitation des sables bitumineux et voudraient qu’on atteigne les objectifs de 2020 (une réduction de 17% par rapport à 2005, ndlr). Le Canada est en plein conflit interne sur le sujet. A l’échelle provinciale, les choses bougent. Le Québec a rejoint récemment le marché carbone californien. En Colombie-Britannique, il y a une taxe carbone instituée en 2008. Elle a démarré à 10 dollars (7,7 euros) la tonne et atteint aujourd’hui 30 dollars (23 euros) sur toutes les émissions et pas seulement industrielles. En Ontario, ils ont quasiment réussi à en finir avec le charbon dans la production d’électricité. Vous avez donc ces trois provinces qui représentent 75% de la population. Là, on sait que le changement climatique existe et que, parce qu’on est une nation riche, on doit en porter en partie la responsabilité. Je voulais montrer aux Européens que cette voix existe aussi au Canada.
Quelle voix ont-ils entendu jusqu’alors ?
Certains parlementaires nous ont raconté les menaces du gouvernement canadien : « Si vous passez la directive, nous vous attaquerons devant l’Organisation du commerce. » Le Canada a aussi des accords bilatéraux avec différents pays européens qu’il n’a pas hésité à utiliser comme moyen de pression. Ce que nous sommes venus dire, c’est que le Canada est hétérogène. Et que nous sommes très confiants que si la directive passe, le marché entre l’Europe et le Canada ne s’arrêtera pas demain.
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