Un Observatoire de l’inclusion bancaire. Késako ? Sa création annoncée ce mardi à l’issue de la conférence nationale contre l’exclusion et pour l’inclusion sociale par le Premier ministre réjouit les associations, à quelques nuances près.
Alain Bernard est en charge des questions d’économie solidaire au Secours Catholique. Il a conseillé François Soulage, son président, au sein de l’atelier « inclusion bancaire et lutte contre le surendettement » de la conférence nationale contre la pauvreté.
Terra eco : L’exclusion bancaire, c’est quoi exactement ?
Alain Bernard : Elle s’exprime à deux niveaux : au niveau de l’accès et de l’usage. Sauf à la marge, nous n’avons pas, en France, de problèmes d’accès. Tout le monde ou presque a un compte bancaire ou un livret A, a peu ou prou accès à des moyens de paiement, plus ou moins facilement accès à l’épargne ou aux conseils clientèle et, peut-être plus difficilement, accès au crédit. En revanche, les gens n’ont pas forcément accès à des services qui correspondent à leurs besoins ou qui sont compréhensibles pour eux. Par exemple, le crédit revolving ou crédit renouvelable n’est pas difficile d’accès, son accès est même parfois trop facile. En revanche, il est compliqué à comprendre. A cause de son aspect renouvelable, les gens ont souvent l’impression que c’est une réserve de trésorerie. Puisque le capital se reconstitue toujours, ils ont tendance à tirer dessus à l’infini. Ce n’est pas le bon produit pour eux. En revanche, le crédit amortissable est beaucoup plus simple. Si vous avez 24 mensualités de 50 euros et que vous arrivez à la 24e, le crédit est remboursé. C’est sur la question de l’accès à un bon service qu’il existe une vraie fracture. Elle est aussi accentuée par beaucoup d’auto-exclusion. Certaines personnes ne poussent jamais la porte de la banque parce qu’elles ne pensent simplement pas que quelqu’un leur répondra.
Qui sont ces exclus bancaires ?
C’est une clientèle fragile ou en voie de fragilisation. Un jour ils sont du bon côté du miroir et un autre, ils passent de l’autre côté parce que les fins de mois sont difficiles, qu’ils connaissent des accidents de vie (chômage, maladie…). Cette spirale de fragilisation qui mène à l’exclusion.
Le Premier ministre a annoncé dans son discours la création d’un Observatoire de l’inclusion bancaire. Cette mesure vous satisfait-elle ?
Dans le
rapport Soulage (remis à la veille de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté, ndlr) et dans
notre manifeste publié en 2011 avec la Croix rouge, on préconisait la formation d’un Institut de l’inclusion bancaire. Nous sommes satisfaits que l’idée ait été reprise mais nous craignons que – à moins qu’on soit face à un simple problème de terminologie – ça n’aille pas assez loin. Notre institut aurait bien eu une fonction d’observation car il faut effectivement identifier les gens dont on parle. Mais il faut aussi que les banques se mettent en ordre de marche, fassent de l’alerte, de la prévention. Il faut passer un autre cran. Dans le rapport Soulage, nous évoquions un système de certification, un marqueur clair et précis des progrès faits par les banques. Ce marqueur serait rendu public et pourrait jouer sur la réputation des banques. L’image des banques est aujourd’hui mauvaise, plus qu’elle ne devrait l’être. Cette certification pourrait être un moyen de savoir si les banques jouent le jeu de l’inclusion.
Comment pourrait-on mesurer les progrès des banques ?
De manière quantitative pour commencer. Si l’offre d’une banque est d’offrir autant de crédit renouvelable que de crédit amortissable, on peut donner une valeur plus positive au second. On peut aussi regarder leur gamme de moyens de paiement alternatifs (GMA) au chèque
(proposée à un prix modéré aux clients en difficulté, cette gamme comprend en général la possibilité de faire des virements, des prélèvements, ainsi qu’une carte de paiement à autorisation systématique, ndlr). De manière plus qualitative, on peut leur demander s’ils sont dotés d’outils de dialogue avec la clientèle et de systèmes d’alertes. La Caisse fédérale du Crédit mutuel Midi Atlantique a nommé il y a quelques temps une commission d’intervention des incidents de compte. Elle ne remettait pas en cause la dette sur le capital mais faisait un effort sur les frais. Cette expérience unique a été généralisée au réseau des caisses locales de la fédération. C’est une bonne pratique et c’est cela que l’on veut. Que les banques prennent conscience qu’elles s’adressent aussi à un public en difficulté et qu’à partir de là elles choisissent ou pas de se doter d’outils d’alerte.
Est-ce rentable pour les banques d’intervenir ?
A court terme non. Ça veut dire des équipes supplémentaires à déployer alors que la clientèle dont nous parlons est peu rémunératrice. A moyen terme, c’est un pari. Les banques peuvent faire des économies sur les dérapages à venir, de type surendettement. Mais il faut être honnête. Aujourd’hui la banque ne vit pas sur les taux d’intérêt mais sur les frais liés aux incidents de compte. Si on minimise les incidents de compte, le tiroir-caisse des banques va moins se remplir. Alors que s’il y a des incidents, il se remplira davantage. Mais tout est une question de curseur. Car si le client passe de l’autre côté, dans le surendettement et la procédure de
rétablissement personnel, le tiroir caisse va se vider d’un coup. La banque a intérêt à ne pas passer ce cap.
Si je reviens à votre question de la rentabilité, la certification que l’on préconise peut donner une image positive de la banque qui aura une valeur. Si vous voulez que votre chargé de clientèle ou votre patron ne se fasse pas toujours prendre en défaut par les personnes au guichet, vous devez vous mettre en ordre de marche pour que votre réputation soit meilleure. Dans notre manifeste, nous préconisons aussi que cette certification puisse être utilisée lors d’un appel d’offre étatique. Quand le gouvernement a banalisé le livret A (toutes les banques peuvent distribuer le livret A depuis le 1er janvier 2009, ndlr), il aurait pu donner comme condition aux banques de bouger en direction des personnes les plus fragiles. Si elles le faisaient, elles avaient le droit d’utiliser le livret A. Cela aurait permis de toucher directement le porte-monnaie des banques. On a manqué le rendez-vous. Mais c’est encore possible. Si cette certification pouvait permettre de disposer d’un produit financier qui structure la fidélisation de la clientèle, ça pourrait inciter les banques à agir.