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Des transports gratuits ? En voilà une riche idée !
vendredi, 14 septembre 2012
/ Alexandra Bogaert
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Dans l’agglomération d’Aubagne, les bus sont gratuits depuis 3 ans. Et ça roule ! L’aventure est relatée dans un livre, qui est aussi une réflexion sur la gratuité comme pied de nez au capitalisme.
La gratuité est chère au coeur des Aubagnais. Par « chère », comprenez « précieuse ». Car depuis le 15 mai 2009, les 103 000 habitants de l’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Etoile, dans les Bouches-du-Rhône, n’ont plus à débourser un centime pour effectuer leurs trajets en bus. Cette mesure a fait exploser la fréquentation des transports en commun (+170% en trois ans !), a redonné vie à l’espace public, et a regarni – un peu – les porte-monnaies. Une petite révolution dans une société du tout-marchand, qui mérite que l’on s’y attarde un peu.
Un livre nous y aide. Sorti ce jeudi aux éditions du Diable Vauvert, Voyageurs sans ticket - Liberté Egalité Gratuité est coécrit par Magali Giovannangeli, la présidente de la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Etoile, et par le philosophe et dramaturge Jean-Louis Sagot-Duvauroux, qui réfléchit depuis plus de vingt ans à la gratuité. Il nourrit sa pensée des autres expériences menées en France.
Car la capitale des santons n’est pas la seule à ne plus faire payer l’accès à ses transports en commun. Une vingtaine de villes et d’agglomérations françaises permettent à leurs habitants de circuler sans débourser. Compiègne, dans l’Oise, a été la toute première, en 1975. A l’étranger, la capitale estonienne Tallinn, devrait l’instaurer l’an prochain.
Dans les douze communes du pays de Pagnol, l’idée de ne plus avoir ni ticket de bus à payer ni contrôleur pour traquer les fraudeurs a émergé après l’élection de Nicolas Sarkozy. « L’argent prenait le pas sur tout », tempête encore la communiste Magali Giovannangeli. Dans ce contexte, instaurer la gratuité comme alternative était osé. Et le pari pas gagné, car il inspirait la méfiance. Chez les conducteurs de bus surtout, qui voyaient les choses ainsi : gratuité = sans valeur = permis de tout faire dans le bus = vandalisme assuré. De plus, « la population n’y croyait pas », rappelle Jean-Louis Sagot-Duvauroux. « Sans être réticente, elle subodorait l’entourloupe en se disant ’on va nous le faire payer d’une manière ou d’une autre’. »
La gratuité entraîne, c’est évident, une modification de la structure de financement des transports en commun. D’un côté, les recettes de billetterie disparaissent – mais aussi les frais d’impression des billets et les salaires des contrôleurs ; de l’autre, les frais de fonctionnement liés à la hausse de la fréquentation (davantage de bus en circulation et de chauffeurs) augmentent. Alors, comment financer sans piocher dans la poche des usagers ? En mettant les entreprises de l’agglomération à contribution. Le versement transport auquel elles sont assujetties dès qu’elles ont plus de neuf salariés a été triplé au niveau de l’agglomération, passant de 0,6% à 1,8%. Suffisant pour se passer de recettes et investir dans de nouveaux bus. Et ce, avec l’adhésion des employeurs qui y trouvent, au final, leur compte : les salariés qui viennent au travail en transports en commun sont moins fatigués et donc plus efficaces.
C’est à l’usage que les plus réticents ont été convertis à ce système. Aujourd’hui, 99% des usagers de l’agglo se disent satisfaits de cette nouvelle liberté de circulation. Car la gratuité « est une subversion positive, jubilatoire et constructive du système capitaliste », estime Jean-Louis Sagot-Duvauroux. Non discriminante, elle efface toute distinction entre les riches – naguère aigris de payer plein pot -, et les pauvres, accusés d’être assistés car bénéficiant de tarifs sociaux. La gratuité rompt avec les hiérarchies sociales et met tout le monde sur un pied d’égalité. Les conducteurs ne sont plus obligés de fliquer ceux qui montent sans poinçonner, et peuvent se concentrer sur leur métier : conduire et accueillir les passagers. Aucun bus n’a été vandalisé.
Au final, « la gratuité produit des effets plus larges qu’anticipé », se félicite Magali Giovannangeli. Elle redonne du pouvoir d’achat aux familles, en faisant économiser 60 euros par mois à un couple avec deux enfants qui avaient auparavant un abonnement. Elle est bénéfique pour l’environnement, et ce même si les bus ne roulent pas au biogaz.
Plusieurs études menées au pays d’Aubagne et de l’Etoile montrent que le trafic routier a baissé de 10% en trois ans. Un usager sur cinq ne prenait jamais le bus avant la gratuité, 63% des trajets qu’elle a générés auraient autrement été effectués en voiture ou en deux roues motorisé. Plus de la moitié des usagers déclarent prendre bien plus souvent le bus qu’avant, que ce soit pour faire leurs courses, aller au travail ou à l’école, rendre des visites de courtoisie, se déplacer pour ses loisirs, etc.
« Le bus, c’est une manière de regagner du collectif sur une société individualiste », explique la présidente de la communauté d’agglomération. Cette expérience montre qu’« on n’est pas condamné à subir la main invisible du marché, qu’on peut développer des alternatives au capitalisme sans qu’elles soient totalitaires », se félicite le philosophe.
Mais au pays d’Aubagne, la gratuité est aujourd’hui menacée. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré début septembre qu’il souhaite la fondation d’une mégapole marseillaise, organisée autour de plusieurs pôles, dont le pays d’Aubagne. Si cela se mettait en place, cela signerait la fin des transports sans payer.
Pour Magali Giovannangeli, ce serait un crève coeur car « ce que nous avons fait redonne du sens à la politique et au vivre ensemble ». Et de toute façon, qui accepterait un retour en arrière ? Ni les conducteurs, trop contents de retrouver les bases de leur métier, ni les usagers au pouvoir d’achat en berne. Surtout en ce moment.