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Mais investir dans des fonds éthiques suffira-t-il pour échapper
à la spéculation ? Pas si simple.
Février 2008, le système des
subprimes s’effondre. Des milliards
de dollars s’envolent en
fumée suite à une spéculation
effrénée sur les biens immobiliers
d’Américains surendettés. Résultat :
le CAC 40 dévisse de 40 % en un an. Une
cascade de scandales révèle, au mieux, des
gestions imprudentes, au pire, des arnaques
à la Madoff. Les investissements socialement
responsables (ISR) ont-ils eux
aussi été touchés par la tempête ? Comment
l’ont-ils traversée ? Petit voyage au
pays des traders.
L’ISR, ça regroupe quoi ?
Les ancêtres de ces fonds dits « éthiques »
sont nés au coeur de la prohibition américaine,
dans les années 1920. Les « sin
stocks » lancés par l’Eglise évangélique
s’interdisaient alors d’investir dans les
industries liées à l’alcool, au tabac et
autres activités impies. Les portefeuilles
d’actions estampillés ISR intègrent eux
des préoccupations sociales et environnementales
à la gestion financière. Ils peuvent
par ailleurs exclure certains secteurs,
comme l’armement, de leur champ d’investissement.
Mais pas nécessairement.
« En France, l’appellation fonds éthique est
inappropriée car, contrairement aux pays
nordiques, nos ISR ne pratiquent quasiment
pas d’exclusion. Se priver de pans entiers
de l’économie comme l’énergie fossile
ou le secteur automobile, grand pourvoyeur
d’emplois, pourrait en effet nuire à l’équilibre
des portefeuilles. Nous sommes dans
une approche dite “ best in class ” qui favorise
les entreprises les mieux-disantes dans
un secteur donné », explique Catherine
Husson Traoré, directrice de Novethic,
un centre de recherche sur l’ISR.
ça fonctionne comment ?
Chaque société de gestion applique sa
propre grille ISR. Elles collectent certaines
données auprès d’agences de notations
sociales, telles que Vigéo, qui sont
financées par… les entreprises qu’elles
évaluent. En attendant un label – à l’étude
chez Novethic – ou une législation
européenne contraignante, les méthodologies
demeurent donc à géométrie
très variable.
L’évaluation d’une même entreprise peut
aussi varier selon qu’on note le produit
vendu – une automobile, par exemple –
ou bien la chaîne de production qui le
fabrique et son impact environnemental.
Attention aux pièges donc : Toyota et sa
Prius verte pourraient ainsi figurer parmi
les bons élèves. Sauf que l’entreprise réalise
la majorité de son chiffre d’affaires
grâce aux 4x4. Autre exemple : les activités
bancaires. Elles sont a priori peu émettrices
de gaz à effet de serre, sauf qu’elles affichent
une empreinte carbone indirecte
désastreuse. Ce sont ainsi cinq banques
françaises – BNP-Paribas, Crédit agricole,
Dexia, Banque populaire et Société générale
– qui financent l’oléoduc Bakou-
Ceyhan. Or cet équipement, qui traverse
une réserve naturelle géorgienne, connaît
des avaries à répétition et est poursuivi
devant la Cour européenne des droits de
l’homme par les populations locales.
Les ISR sont-ils plus clairvoyants ?
Comme tout produit d’actions, les ISR n’échappent pas à la tourmente boursière. Une
étude publiée en décembre dernier par le cabinet Altedia Investment consulting* estime néanmoins que ces fonds surclassent l’indice de 0,5%. Les fonds ISR cotent en effet des entreprises censées être mieux connues, mieux suivies et réputées plus durables car pratiquant une meilleure gouvernance. Cela dit, ce principe général est à manier avec précaution, car il cache de grandes disparités.
Un outil de moralisation ?
Malgré leurs imperfections, les fonds
ISR, en gagnant du terrain dans les
champs monétaire et obligataire, pourraient moraliser un peu la planète finance.
Et notamment favoriser l’émergence
d’un actionnariat actif. Ainsi, depuis
2003, les sociétés gérant des fonds ISR
sont obligées d’assister aux assemblées
générales des entreprises qu’elles cotent.
Les mutuelles et coopératives du réseau
européen Euresa vont même plus loin.
« Nous échangeons des informations sur
les 70 entreprises communes à nos portefeuilles
et intervenons en concertation
auprès d’elles sur la politique de l’emploi,
la rémunération des dirigeants ou leur
impact environnemental », explique son
directeur, Thierry Jeantet. En 2007, le
fonds de pension danois ATP a vendu ses
actions Total, présent en Birmanie, pour
protester contre la répression politique
menée par la junte au pouvoir. La même
année, suite à une campagne de la société
civile, le gouvernement belge a voté
une loi interdisant les investissements
dans les armes à sous-munitions, tandis
qu’en France, l’activisme d’Amnesty et
d’Handicap International a conduit Axa
à se retirer de ce même secteur.
Des fonds verts, victimes collatérales
Cousins des ISR, les investissements responsables et durables (IRD) privilégient
des secteurs comme les énergies renouvelables, le recyclage et les entreprises
industrielles soucieuses de leur empreinte carbone. Portés par une croissance
insolente à deux chiffres, les IRD bénéficiaient d’un effet de « bulle verte »
jusqu’à la crise.
En 2008, certains ont perdu jusqu’à 70 % de leur valeur.
Certainement surévalués avant la crise, ces IRD seraient aujourd’hui sousévalués
à tort. En effet, ces secteurs rassemblent surtout des PME au périmètre
d’activité national et donc à l’abri des turbulences des marchés mondiaux. En
outre, leur coeur de métier (gestion de l’eau, déchets, énergie) ne sera que peu
impacté par la baisse de la consommation.
Le centre de recherche et d’information
sur les ISR
Le Comité intersyndical de l’épargne
salariale
« L’économie sociale : une alternative
au capitalisme, » Thierry Jeantet,
Economica, 2008.