![]() |
https://www.terraeco.net/spip.php?article40297
|
![]() |
Crises : Deux alternatives (trop vite) oubliées
jeudi, 8 décembre 2011
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
Crises économique, sociale, écologique... Les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Sans alternatives ? Que nenni ! « Terra eco » vous propose d’étudier deux solutions anti-crises.
Mise à jour, le 2 octobre 2012 : Les parlementaires français se penchent aujourd’hui sur le Traité européen. Son credo ? Plus de rigueur budgétaire. Et si d’autres solutions existaient ? Terra eco s’était penché en décembre dernier sur deux d’entre elles : la planche à billet et l’annulation de dette.
Une famille dont la maison s’effondre, mais qui ne peut rien réparer parce qu’elle croule sous les dettes. Voilà à quoi ressemble l’Europe, alors que se croisent aujourd’hui deux sommets dits « de la dernière chance ».
Le premier, à Bruxelles, réunit jeudi et vendredi les chefs d’Etats européens pour trouver une sortie à la crise de la dette. Il faut agir avant que l’une des grandes économies européennes ne soit plus en mesure de rembourser ses dettes.
Le second, à Durban, doit permettre de poursuivre la lutte contre le changement climatique. Il faut changer de modèle dans les cinq ans. Sinon, le mal sera fait : il sera trop tard et notre planète va se réchauffer de plus de 2°C, entraînant des changements que l’on peine à concevoir.
Ces deux urgences se rappellent à nous. Mais dans ces deux sommets, les solutions évoquées semblent partielles, et pas à la hauteur des deux enjeux. A Bruxelles, on s’engage dans une course à l’austérité qui est contre-productive et socialement désastreuse. A Durban, on espère au mieux renouveler les précédents accords de Kyoto. Pourtant, des alternatives globales sont évoquées ici et là. Terra eco s’est penché sur deux d’entre elles.
Pour présenter cette solution, il faut rappeler d’où vient la monnaie. La majeure partie de l’argent en circulation aujourd’hui a été émis par des banques privées. Celles-ci ont en effet le pouvoir de créer de la monnaie à chaque fois qu’elles prêtent une somme [1]. Ces banques sont bien sûr limitées dans l’émission de monnaie : elles doivent toujours disposer d’une certaine quantité de réserves constituées de monnaie prêtée par les banques centrales.
« Il faudrait utiliser le même mécanisme de "création monétaire" pour financer au niveau européen un vaste programme d’investissements dans la transition écologique et énergétique à des conditions très avantageuses », soutient Alain Grandjean, économiste, fondateur et associé de Carbone 4, cabinet de conseil et d’études sur le carbone. Il propose ainsi un organisme européen - par exemple la banque européenne d’investissement (BEI) - à emprunter à taux quasi nul à la BCE puis à réaliser des prêts massifs à taux très bas pour financer la rénovation thermique des bâtiments, certains projets d’énergies renouvelables ... « La BCE recourt aujourd’hui massivement à la dite création monétaire à taux très avantageux pour "sauver les banques". Si cette monnaie était injectée via la BEI dans des projets elle pourrait permettre de sortir de la récession annoncée qui est l’une des raisons de la crise financière actuelle », poursuit l’économiste.
Ces fonds seraient destinés à financer des projets à long terme et écologique [2]. L’économiste souhaite que soit créé ainsi l’équivalent de 2% à 3% du PIB européen par an pendant dix ans. Soit environ 2 500 milliards d’euros.
Avantages :
Cette solution permet de dégager des fonds sans s’endetter plus.
Elle permet surtout de financer des projets à long terme, alors que la plupart des investissements aujourd’hui sont conditionnés à des retours sur investissements importants à court terme. « L’ensemble des changements qu’il faut financer ne sont rentables qu’à long terme. Ils n’ont pas de rentabilité financière calculable, surtout pas à court terme. En cela, ils sont peu intéressants pour les investisseurs actuels. En créant de la monnaie pour financer ces investissements, on contourne ce problème », résume Alain Grandjean. Créer de la monnaie permet une réponse rapide alors que « chaque jour qui passe nous éloigne des investissements nécessaires il faut agir vite ».
Inconvénients :
Le problème de la dette actuelle n’est pas résolu. « Cette solution n’est à elle seule pas suffisante », reconnaît Alain Grandjean.
Le risque majeur est celui de l’inflation. Car lorsque l’on fait tourner la planche à billet, la monnaie perd de la valeur. Dès lors, les prix augmentent, puis les salaires, et ainsi de suite tirant toujours la valeur de la monnaie vers le bas et les prix vers le haut. C’est le cercle vicieux de l’inflation. Voilà le risque de ce projet. Alain Grandjean conteste tout de même : « Les fonds seront investis dans des projets à long terme et ne retourneront pas directement dans des banques ou dans l’immobilier. Il n’y a pas de risque de bulle. Par ailleurs, on risque actuellement une déflation (une baisse générale des prix poussant les acteurs économiques à retarder toutes leurs activité, ndlr). Le moment n’est pas mal choisi pour inverser la tendance. Mais il est sûr qu’il faudra mieux réguler la finance, pour s’assurer que de nouveaux instruments ne dévoient pas ces sommes et n’entraînent pas de nouvelles bulles spéculatives. »
C’est ce que défend l’actuaire Olivier Berruyer à grand renfort de schémas sur son blog. Il égrène :« Cette année la France aura au mieux 200 milliards d’euros de recettes pour 300 milliards de dépenses. Soit 100 milliards de déficit, qui vont s’ajouter aux dettes qui arrivent à échéance l’an prochain. Au total, l’Etat va devoir emprunter 400 milliards en 2012. C’est énorme, c’est comme s’il fallait trouver 10 millions d’épargnants prêtant 40 000 euros. Si on les trouve tant mieux, mais on ne fera que repousser le jour où on ne trouvera plus personne pour nous prêter de l’argent. »
Il est persuadé que jamais l’Europe ne pourra rembourser ses créances, car l’austérité n’est pas une solution et car la croissance ne reviendra jamais. Pour lui, l’Europe fera forcément défaut, bientôt. Son idée : prendre les devants et décider de ne pas rembourser. « On décrète que la dette française ne vaut plus que 30% de sa valeur. » Autrement dit, tous les créanciers perdent 70% de leur mise.
Inconvénients :
C’est un scénario si peu étudié que l’on a du mal à évaluer ses conséquences en cascade. Mais la première réaction serait à coup sûr la faillite de la plupart des banques et assurances qui détiennent de la dette européenne. La solution d’Olivier Berruyer ? « Il faudra nationaliser ces établissements et transmettre les pertes sur les actionnaires. » Ce qui veut dire que beaucoup de particuliers perdraient leur assurance-vie, leur épargne, etc. « Environ 10% de la population française détient 70% du patrimoine placé en France. C’est elle qui va y perdre. Mais c’est elle aussi qui a pris des risques. Moi je n’ai rien placé et Liliane Bettencourt dispose de 600 millions d’euros d’assurance-vie. C’est à elle de payer pas à moi. Un défaut d’État revient finalement à une forme de perception des impôts qui n’ont pas été payé par le passé », ironise le blogueur. Pas sûr que les titulaires d’assurance-vie soient du même avis.
Un Etat qui a fait défaut aura ensuite du mal à se faire prêter de l’argent pendant longtemps. C’est ce que nous expliquait l’économiste Alexandre Delaigue pour assurer que la Grèce n’a pas intérêt à cesser de rembourser sa dette. Si elle choisit la solution d’Olivier Berruyer, l’Europe sera donc privée d’emprunts. « Je n’ai jamais dit qu’un défaut était une solution miracle, se défend l’actuaire. C’est une situation très compliquée, mais j’estime qu’elle est plus favorable que la situation actuelle. » Celui-ci préconise, avoir adopté une règle d’or, de financer les besoins de l’Etat, qu’il estime à 30 milliards d’euros après défaut, par de nouveaux impôts. Est-ce beaucoup ? C’est plus que les deux plans de rigueur imposés cet été en France, mais cela représente environ 1% du patrimoine financier français, justifie Olivier Berruyer. Ces sommes pourront en tout cas servir à financer la transition de nos économies.