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Ces cultures vertes qui éradiquent la faim
mercredi, 7 décembre 2011 / Anna Baldacchi

Dans son rapport « Comment nourrir 7 milliards d’hommes », le Worldwatch Institute voit la solution à la faim dans le pouvoir d’innovation des petits cultivateurs.

Tout d’abord, quelques chiffres, glanés ça et là dans les quelque 500 pages de cet ambitieux rapport du think tank américain Worldwatch Institute, intitulé L’Etat du monde 2011 : Comment nourrir 7 milliards d’hommes et collectant des initiatives agricoles dans 25 pays d’Afrique subsaharienne.

- 925 millions de personnes – soit près d’une personne sur sept - sont sous-alimentées dans le monde. Un enfant meurt de faim toutes les six secondes.
- En Afrique, 80% de la population travaille dans le secteur agricole. Sur ce continent pourtant, « seule une poignée de nations investissent plus de 10% de leur budget national dans l’agriculture », note Danielle Nierenberg, directrice du projet au Worldwatch Institute. Depuis 1980, la part de l’agriculture dans l’aide internationale au développement est passée de 16% à 4%.
- Il y a (au moins) deux facteurs aggravants à ce tableau agricole : le réchauffement climatique, qui pourrait plonger dans la famine 600 millions de personnes supplémentaires d’ici 2060. Et le gaspillage : de 25% à 50% des récoltes des pays pauvres n’atteignent jamais les estomacs, humains du moins.

Produire plus n’est pas la solution

Le problème vient-il d’un manque de production agricole ? Non, répond dans le rapport Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation : « Nous avons réussi, de manière notable, à augmenter les rendements. Mais il est temps de prendre conscience que produire plus ne permet pas nécessairement d’éliminer la faim. » Ainsi donc, l’équation produire plus pour manger plus ne fonctionne pas, en tout cas pas pour tout le monde.

De quoi balayer d’un revers de la main cinquante ans de Révolution verte. Cette politique productiviste a consisté, dès les années 1960, à soutenir un petit nombre d’espèces cultivées – presque uniquement des céréales -, issues de semences améliorées, et dont les hauts rendements sont conditionnés à une forte irrigation et à un apport immodéré d’intrants chimiques, engrais et pesticides.

Le modèle a un coût très élevé pour les petits agriculteurs, qui investissent dans ces graines, intrants, machines au prix de s’infliger une faramineuse dette, selon Danielle Nierenberg. « En plus, les technologies de la révolution verte ont augmenté les rendements des matières premières agricoles, comme le coton, le soja ou le maïs – au prix de vente très bas. Ce ne sont pas des cultures qui contribuent à la sécurité alimentaire locale », ajoute la chercheuse. Enfin, tous ne profitent pas de cette juteuse production, souligne Olivier de Schutter : « Dans 80% des études sur la révolution verte menées ces 30 dernières années, les chercheurs (…) ont conclu que l’inégalité augmentait en réponse à la modification technologique. »

De petites solutions aux grands résultats

Alors que faire ? Ni revenir à la charrue, ni s’engouffrer dans cette voie de l’agriculture « moderne » telle qu’elle a été pensée dans les années 1960, mais opter pour les innovations initiées par les agriculteurs au niveau local, répond le Worldwatch Institute. Des myriades de petites solutions au grand problème de la faim dans le monde, en somme.

Enfin, pas si petites, aux vues de leurs résultats : selon l’équipe du chercheur américain Jules Pretty, qui a étudié 286 projets dans 57 pays en développement, les fermiers qui passent de l’agriculture conventionnelle à l’agro-écologie voient leur rendements augmenter de 79% en moyenne. Et ces solutions peuvent être facilement reproduites dans d’autres régions, quand elles ne sont pas déjà largement employées, argue Danielle Niederman : « Les pompes à pédales aident déjà plus de 250 000 fermiers africains à irriguer leurs champs. Et l’agriculture urbaine est pratiquée par près d’un milliard de personnes sur terre. »

Ainsi, dans l’immense bidonville de Kibera, dans le sud de Nairobi au Kenya, plus de 1000 habitants font pousser légumes et herbes aromatiques dans des sortes de mini-potagers verticaux - à savoir des sacs recyclés ou des bidons, remplis de terre et de fumier fabriqué à base de déchets ménagers. Ils sont irrigués par de les eaux usées. « Les potagers de la vallée du Ngo’ng et aux alentours du barrage de Nairobi ont sauvé nos familles de la faim durant la crise politique de 2008 » , commente Mary Mutola, agricultrice dans le bidonville. Dans la capitale kényane, on estime qu’en 2004, 250 000 poulets et 45 000 moutons et chèvres ont été élevés, et 42 millions de litres de lait de vache produits.

L’innovation entre les mains des agriculteurs

En Gambie, 6 000 femmes ont accepté de fermer pendant un an leur parc à huître, élevant ainsi la qualité et le prix de leurs mollusques et œuvrant à la reconstitution des mangroves. Au Mali, ce sont des femmes, aussi, qui ont trouvé une valeur ajoutée à l’agroforesterie grâce à la vente de noix de karité à des compagnies nationales et à l’industrie pharmaceutique. En Afrique du Sud, des bergers zoulous élèvent le mouton izimvu, résistant à la sécheresse et à la chaleur ainsi qu’aux parasites locaux, plutôt que des espèces croisées avec des souches exotiques. Au Bénin, des jardins maraîchers solaires utilisent des panneaux photovoltaïques pour pomper de l’eau et irriguer au goutte-à-goutte.

Derrière cette myriade de pistes mises en avant par le Worldwatch Institute, quelques constantes se dégagent. Les agriculteurs font de nouveau confiance à la biodiversité locale, avec des espèces complètement négligées par la Révolution verte comme les huîtres, les noix ou les légumes. Faire pousser ces espèces, bien adaptées, en culture associée permet aussi de leur faire bénéficier des atouts de chacune – telle plante fertilise, tel fruit repousse certains insectes, tel arbre apporte ombre et humidité… Le tout est d’adopter « une vision holistique de l’agriculture, comme un système complet qui dépend de l’environnement », résume Danielle Nierenberg. C’est enfin aux agriculteurs eux-mêmes que la confiance revient. Là où la Révolution verte était impulsée par des politiques nationales et des organismes internationaux, où le savoir est aux mains des agronomes, généticiens ou semenciers, la caractéristique de ces innovations est d’émaner des expérimentations et techniques des éleveurs et cultivateurs. Pour Olivier de Schutter, « l’agro-écologie récompense l’inventivité des agriculteurs, qui passent de l’état de bénéficiaires passifs des connaissances développées en laboratoire à celui de co-inventeur du savoir dont ils ont besoin. »