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Mailuu Suu, la vallée aux 1000 décharges
jeudi, 4 octobre 2007
/ Mathilde Goanec
,
/ Camille Magnard
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Cette région du Kirghizistan a connu la gloire avec ses gisements d’uranium et la production d’ampoules. Entre déchets radioactifs et filaments de nickel, c’est désormais l’un des lieux les plus pollués du monde.
Razul et Kairat balaient du regard les vertes prairies qui bordent la rivière Mailuu Suu, au Kirghizistan. Rien ne distingue les lieux. Aucune barrière, pas de signalisation. Chèvres et vaches déambulent librement. Et pourtant, les deux hommes marchent sur des déchets d’uranium hautement radioactifs. Employés par la mairie et le centre épidémiologique, ils scrutent le sol à l’aide d’un antique appareil à aiguilles. Sous leurs pieds, le taux de radiation oscille de 60 à 150 micro-roentgen [1]. A certains endroits dans la vallée, l’aiguille s’affole et affiche jusqu’à 3 000 micro- roentgen. « Les déchets ont été enterrés entre des couches de terre, comme un gros gâteau. Ici, si on creuse, on trouve de l’uranium à 70 centimètres de profondeur seulement », explique Razul. Deux millions de tonnes de déchets d’uranium dorment ainsi sous terre, ce qui classe Mailuu Suu parmi les sites les plus pollués de la planète.
« Auparavant, il n’y avait rien ici. La ville est sortie
de terre en 1946, avec le début de l’exploitation d’une
mine d’uranium », raconte Bumaïram Mamaseïtova,
la maire de la ville. C’était quelques mois seulement
après la démonstration de force de l’armée américaine
au-dessus d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour
se maintenir dans la course à l’armement, l’Union
soviétique accélère alors ses programmes nucléaires.
Et c’est à Mailuu Suu, à 4 000 kilomètres de Moscou,
que les experts russes découvrent un gisement d’uranium
à la hauteur de leurs ambitions. Routes, usines, immeubles et infrastructures poussent en quelques
années, pour se mettre immédiatement au service de
l’extraction, puis de l’acheminement du minerai vers
les laboratoires soviétiques. Mais l’euphorie ne dure
pas. Seize ans plus tard, mines et usine d’enrichissement
ferment leurs portes. « De cette époque, il reste
sur notre territoire 23 sites de déchets d’uranium et 10
de rochers radioactifs non couverts », rappelle la maire
de Mailuu Suu.
Mais le calvaire de la petite localité ne s’arrête pas
là. En 1962, la mine ferme ses portes. D’autres gisements, plus riches et surtout plus facilement
exploitables, sont découverts dans la république
voisine du Kazakhstan. Une page se tourne, une
autre s’ouvre. Car les « plans » soviétiques offrent
une seconde chance à Mailuu Suu : l’accueil d’une
immense usine de fabrication d’ampoules. Ce fleuron
industriel est censé « apporter la lumière au
monde entier », comme le vantent encore les vieilles
affiches de propagande. Sauf que, pendant près de
quarante ans, l’usine déverse en toute impunité des
tonnes d’ampoules défectueuses dans une vallée secondaire
de Mailuu Suu. « Avant, tout le monde se
moquait de ces ampoules, explique Kamir, chômeur
de 55 ans. Jusqu’à ce que quelqu’un découvre qu’elles
contenaient des filaments de nickel. C’était en 2003. »
Le nickel, que le voisin chinois, avide de métaux,
rachète au prix fort. « Les rumeurs racontaient qu’en
collectant et revendant ces filaments, certaines personnes
avaient pu s’acheter des voitures et des appartements.
»
Deuxième vie en Chine
Alors que l’usine d’ampoules, qui a cessé de rejeter ses déchets depuis plusieurs années, tourne au ralenti, l’exploitation illégale du site constitue désormais l’activité économique numéro un de la vallée. Les premiers arrivés se sont partagé la zone, et les glaneurs de nickel doivent désormais payer pour gratter. Au deuxième échelon de ce trafic, il y a les « propriétaires de moulins », qui officient dans un campement de yourtes improvisé, en retrait des déchets. Les moulins, machines rudimentaires le plus souvent actionnées par de jeunes garçons, séparent le verre du nickel, dégageant du même coup une poussière grise extrêmement nocive. Confortablement installé dans un 4x4 japonais équipé d’un lecteur de DVD dernier cri, l’un de ces « propriétaires » justifie son business : « Vous savez, ça donne du boulot à tout le monde ! Je prends à peine 10 %, mais les gens doivent passer par mes moulins. » Ce vrai « système mafieux », selon la maire de Mailuu Suu, ferait étape à Bichkek, la capitale, pour finir sa course en Chine, en dehors de tout contrôle officiel. « Les autorités locales ont essayé d’empêcher l’accès au site, mais elles craignent la réaction de la population. Personne ne souhaite de confrontation avec la police », renchérit Nemat Mambetov, directeur du centre épidémiologique de la ville. Des centaines de Kirghizes ou d’Ouzbeks continuent donc à affluer sur le site, mettant ainsi leur santé et leurs vies en péril.
Un plan pour évacuer la population Les déchets radioactifs de Mailuu Suu pourraient bien être à l’origine d’une catastrophe écologique d’ampleur régionale. En effet, le sud du Kirghizistan est en proie à des tremblements de terre et à des glissements de terrain de plus en plus fréquents. Au-dessus de l’un des principaux sites de déchets d’uranium, un pan de montagne d’un million de mètres cubes menace de tomber dans la rivière. « C’est assez pour la bloquer, créer une retenue et faire monter le niveau de l’eau jusqu’aux sites d’uranium », explique la mairie. Si cette retenue venait à lâcher, l’eau emporterait les déchets jusque dans la rivière Naryn. Et plus loin, dans le lit du grand fleuve Syr-Daria, qui irrigue la vallée fertile du Ferghana, zone la plus peuplée d’Asie centrale, à cheval sur trois pays. Ce scénario est pris très au sérieux par la communauté internationale, qui a promis, via la Banque mondiale, 12 millions de dollars pour consolider le terrain et mettre sur pied des programmes d’évacuation des populations concernées.
FICHE D’IDENTITE
Population : 5,3 millions de Kirghizes. Superficie : 200 000 km2. Langues officielles : kirghiz, russe. Principales minorités : russe et ouzbeke. Religion majoritaire : islam. Principaux secteurs d’activité : services et agriculture. Produit intérieur brut : 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros), soit autant que la dette extérieure du pays. Classement de l’indice de développement humain : 110e pays sur 177.
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