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Le business fait l’info
jeudi, 6 septembre 2007 / Cécile Cazenave , / Olivier Philipponneau

Ils ressemblent à des journaux, ils se vendent comme des journaux, mais sont entièrement financés par des marques. Plongée dans les rayons florissants des « consumers magazines ».

Début juillet, les façades de kiosques à journaux en étaient couverts : E = moins de CO2, un guide sur l’énergie et l’environnement venait de sortir. Quatre-vingt-seize pages pédagogiques pour 2 euros. Pas cher pour s’informer sur le changement climatique, un sujet qui fait tilt dans l’esprit des Français. Question : quel groupe de presse se cache derrière cette idée lumineuse ? « Directeur de publication : EDF » et « réalisation : Euro RSCG », peut-on lire au dos de la revue.

Quelques jours après l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, EDF avait besoin de « visibilité ». Le groupe a donc opté pour une technique marketing dans l’air du temps. Il a troqué sa casquette de leader français de l’électricité pour celle de média. Et l’entreprise a fait fort : 100 000 exemplaires distribués sur 16 000 points de vente. « Nous avons accompagné cette sortie d’une campagne médias classique, ciblée sur la promotion du guide, comme un titre de presse le ferait pour une nouvelle formule. L’objectif, c’est que les lecteurs l’achètent comme ils achèteraient Géo ou un supplément du Monde 2 sur le climat », explique Fabrice Conrad, directeur associé de l’agence de publicité Euro RSCG.

Façonner et asseoir une image

Les « consumers magazines » – ou magzines de marques – ne datent pas d’hier. Contact, magazine produit par la Fnac, a vu le jour en… 1954. Mais l’explosion du phénomène date des années 1990. Certaines études en dénombrent alors plus de 200. Ils sont aujourd’hui moitié moins, mais explorent de nouveaux champs. American Express a, par exemple, récemment opté pour le Web. L’agence de publicité Ogilvy lui a concocté un site présentant le goût et les couleurs d’un magazine Internet et arborant un riche agenda culturel. Le chroniqueur Ariel Wizman y entraîne l’internaute en une dizaine de petits reportages dans ses lieux favoris du Paris branché. Les établissements choisis possèdent, bien sûr, un partenariat commercial avec l’institution financière. « Nous voulons que les gens passent du temps avec la marque. Grâce à nos petits films, les internautes restent trois minutes en compagnie d’Ariel Wizman, trois minutes qui coûteraient une fortune à la radio ou à la télé », analyse Romain Lartigue, directeur de clientèle chez Ogilvy. Et la cible est parfaitement identifiée : « Les 35-40 ans, en couple, habitant des villes de plus de 100 000 habitants, à hauts revenus, travaillant sans compter et dépensant sans compter pour leurs loisirs.  »

La recette est-elle lucrative ? Mystère. Les intéressés sont peu diserts. Motus aussi sur l’impact de cessupports sur les éventuels bénéfices de l’entreprise. Car l’enjeu se cache ailleurs. « La rentabilité de ce type d’opérations est difficile à évaluer. Plus que de provoquer la hausse des ventes, il s’agit de façonner et d’asseoir une image », décrypte Alexandre Coutant, doctorant en sciences de la communication à l’université de Lyon-III. Les plus réussis des « consumers magazines », sont donc ceux qui ressemblent le moins à de la publicité, mais qui impriment dans l’esprit des clients – actuels ou potentiels – les valeurs revendiquées par la marque. « Aujourd’hui, l’acte d’achat est moins déterminé par le produit que par une culture commune. Il s’agit d’établir une relation de long terme avec le client, de créer de la confiance. Entretenir, finalement, un discours détaché des préoccupations marchandes », renchérit William Spano, enseignant-chercheur dans l’équipe de recherche de Lyon-II en sciences de l’information et de la communication (Elico).

Danone prétend que santé et alimentation sont indissociablement liées ? Le groupe prouve son engagement en créant DanoneEtVous, à la manière d’un magazine féminin bien informé. Leclerc fait du pouvoir d’achat son cheval de bataille ? En juin, la marque a mis en ligne le site www.monpouvoir- dachat.com, qui décortique la consommation des ménages. La chaîne de bricolage Leroy Merlin dispose, quant à elle, d’un arsenal plus élaboré : un programme court « Du côté de chez vous » (diffusé sur TF1), une chaîne de télé sur le bouquet satellite Canalsat et un bimestriel de déco, vendu notamment en kiosque, et diffusé à près de 400 000 exemplaires [1].

« Confusion des genres »

« Ce type de publications emprunte les valeurs positives de la presse. On joue là sur la confusion des genres  », souligne Alexandre Coutant. Les « consumers magazines » avancent en effet sur un fil. Impossible de trouver une critique de film acerbe dans les gratuits distribués par les salles de cinéma, Trois couleurs pour MK2 ou Illimité pour UGC. En revanche, le magazine Epok, produit par la Fnac, s’était positionné à ses débuts comme « prescripteur de tendances culturelles ». Réalisé par une équipe de journalistes, le périodique, sérieux, affichait parfois un ton mordant. Pas forcément idéal pour les ventes directes de certains produits, mais décisif pour une enseigne qui se targue d’être « un agitateur d’idées ». Le magazine a disparu il y a quelques mois… « C’est un combat pour l’expertise. La question est : qui est le plus légitime pour recommander quelque chose ? », souligne William Spano.

Canopée, le magazine annuel de Nature & Découvertes place la barre plus haut. « François et Françoise Lemarchand, le couple fondateur de l’entreprise, ont voulu aller plus loin que le produit pour balayer tous les champs traitant des rapports entre homme et nature », souligne Françoise Vernet, directrice marketing de l’enseigne. Tirées à 30 000 exemplaires, vendues 5 euros dans les boutiques de la marque et dans 65 Relais H en Ile-de- France, les 164 pages du cinquième numéro se sont vendues comme des petits pains. De quoi rivaliser avec la grande presse indépendante, largement dépendante de… la publicité. —

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- Embarras chez les journalistes

ALLER PLUS LOIN

- L’Article de William Spano, docteur en sciences de l’information et de la communication, université Stendhal- Grenoble-III

- « Canopée », la revue de Nature et Découvertes


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