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J’ai testé la banquise
vendredi, 30 septembre 2011
/ Laure Noualhat / Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet. |
Par une température de 2° C, en plein océan Arctique, je m’en vais mesurer la glace avec des chercheurs. Pioche en main, on fore, on fore et on fore. Objectif : comprendre le futur de ces glaçons géants.
Une fois n’est pas coutume, voici le compte rendu d’un test légèrement élitiste. Ben oui, ce n’est pas tous les jours qu’on va se peler le jonc en Arctique pour mesurer la banquise. Chaque année, depuis trois ans, Greenpeace met sa logistique à disposition de plusieurs équipes de chercheurs. Objectif : permettre à des spécialistes de la glace – icebergs, glaciers, banquise – de s’approcher au plus près de leur objet de recherche. Au passage, quelques journalistes, dont votre humble scribouillarde, ont le privilège de mettre la main à la pâte, ou plutôt la moufle à la banquise. Cette année, Till Wagner et Nick Toberg, du département de physique et mathématiques appliquées de l’université de Cambridge, viennent prendre les mensurations d’un maximum de bouts de glace flottante. C’est toujours en septembre que l’on mesure le minimum saisonnier de la banquise. Bien sûr, les satellites fournissent tout ce qu’il faut savoir sur sa superficie au niveau des pôles (voir encadré), mais rien sur son épaisseur – qui permettrait de déterminer le volume général des glaces.
Pour leur première sur le terrain, nos apprentis chercheurs sont gâtés, car en matière de logistique, Greenpeace ne fait pas dans la demi-mesure : un brise-glace, l’Arctic Sunrise, un hélicoptère, vingt membres d’équipage dévolus à l’expédition… Montant de la facture : 100 000 euros pour trois semaines en mer.
L’ambiance oscille entre La croisière s’amuse et la rigueur d’un sous-marin soviétique. On déconne, mais ça bosse. Debout sur le pont, jumelles vissées sur le nez, les chercheurs commencent leur casting. Il leur faut un bout de banquise parfait : grand, long, mais surtout, surmonté d’une crête de pression. La crête de pression, c’est la zone du choc frontal entre deux bouts de banquise. Lancés l’un contre l’autre, ils s’emboutissent, « s’accordéonnent » jusqu’à créer un monticule de glace de 3 ou 4 mètres en surface et de 15 à 20 mètres en profondeur. « Souvenez-vous, vous ne voyez que 10 % du volume des glaces, les 90% restants se trouvent sous l’eau », m’indique Nick Toberg. Nos chercheurs veulent modéliser ces crêtes en 3D, afin de cartographier tous les profils existants.
Concrètement, mesurer la banquise, c’est un boulot de Shadocks : il faut forer, forer, forer… Equipée d’une perceuse et d’une mèche extensible à l’infini, me voilà à faire des trous, des p’tits trous, encore des p’tits trous… Nick et Till répètent en boucle les instructions. « Sur 100 mètres, tous les 2 mètres, vous percez, jusqu’à atteindre la mer, et vous prenez les mesures. » Question de béotienne goguenarde : « Pardon, mais faire des trous dans la glace, ça n’accélérerait pas sa fonte ? » Heureusement qu’un chercheur anglais, ça a le sens de la dérision.
Certains scientifiques l’assurent, dès 2060, il n’y aura plus de glace en été au pôle Nord. Cela ravit les compagnies de marine marchande qui voient s’ouvrir de nouvelles routes de fret, mais aussi les compagnies minières qui ont senti depuis bien longtemps l’or noir sous le calme apparent du diamant blanc. Quelle ironie, au final, tout le monde fore ! —