https://www.terraeco.net/spip.php?article18146
Nos centrales nucléaires risquent-elles la surchauffe ?
mercredi, 29 juin 2011 / Denis Delbecq

Le danger pour l’atome, c’est quand les pépins s’additionnent. Une sécheresse et une canicule, par exemple, comme en 2003. Tout est sous contrôle dans l’Hexagone, rassure EDF. Ce qui ne convainc pas les antinucléaires.

C’était en 2003, en pleine canicule : la France avait découvert les images d’un bâtiment de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) arrosé au jet d’eau. « Une tentative bizarre qui montre une méconnaissance de la thermique », commente un expert du nucléaire. « Ça a fait beaucoup rire, mais cette incompétence n’est pas drôle », renchérit le physicien Jean-Marie Brom de l’association Sortir du Nucléaire et ancien membre de la Commission locale de surveillance (1) de Fessenheim. Le mur fait plus de 80 cm d’épaisseur : il aurait donc fallu des semaines pour abaisser – un peu – la température de l’enceinte, qui menaçait de dépasser les 50° C autorisés !

Ailleurs, notamment à Golfech (Tarn-et-Garonne), sur les bords de la Garonne, et sur les sites de Bugey (Ain), Tricastin (Drôme et Vaucluse) et Saint-Alban (Isère), sur le Rhône, EDF avait été contraint de rejeter de l’eau plus chaude que les règles d’exploitation du nucléaire ne l’autorisent. Un accroc rapidement légalisé par des dérogations officielles, pour maintenir l’approvisionnement électrique. Ces deux épisodes ont apporté de l’eau au moulin des antinucléaires, trop heureux de montrer que « contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire, c’est le changement climatique qui s’attaque au nucléaire et non l’inverse », pour reprendre l’expression de Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire, qui a lancé, mi-mai, la polémique sur la sécheresse qui sévit cette année.

Leçons retenues

Comme toute centrale thermique, une centrale nucléaire est une cocotte-minute dont la vapeur fait tourner un alternateur. Et il faut évacuer deux mégawattheures de chaleur dans la nature pour chaque mégawattheure d’électricité produit. En France, on capte donc de l’eau dans un cours d’eau (pour 44 réacteurs nucléaires) ou dans la mer (pour 14 réacteurs), avant de la rejeter, réchauffée. Les centrales thermiques françaises captent ainsi 57 % de l’eau douce prélevée chaque année en France dans la nature ! 97,5 % de ces 18,5 milliards de mètres cubes d’eau utilisés (pour les centrales nucléaires, pour l’essentiel) sont rendus au cours d’eau. Le reste est transformé en nuages dans les tours aéroréfrigérantes des centrales situées sur de petits cours d’eau.

L’eau rejetée en rivière contient des substances chimiques, notamment du chlore, et des éléments radioactifs en faible quantité. Pour éviter de polluer l’environnement, l’énergie du cœur nucléaire est transportée par de l’eau en circuit fermé jusqu’à un générateur de vapeur qui baigne dans le circuit d’eau secondaire, fermé lui aussi. En sortie de turbine, la vapeur est condensée par un troisième circuit, ouvert celui-là, alimenté par l’eau froide prélevée dans la nature. Et c’est là que les problèmes peuvent survenir, quand s’additionnent sécheresse et canicule.

Pour Stéphane Lhomme, connu pour son discours radical, le message est clair : « Avec la sécheresse, on risque la fusion de cœurs cet été en France. Car même si on arrête les centrales pour cause de manque d’eau, il faut les refroidir pendant longtemps, comme l’a montré l’accident de Fukushima. » Une hypothèse que rejette Martial Jorel, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire : « Le niveau des cours d’eau baisse lentement et il se prévoit. Quand on arrête un réacteur, la puissance résiduelle chute très rapidement. Pour un réacteur de 3 000 MW thermiques, il ne reste que 500 MW au bout d’une seconde, 45 MW au bout d’une heure, 9 MW au bout d’une semaine, etc. Les centrales françaises disposent de moyens multiples pour assurer ce refroidissement, y compris de réserves d’eau. » Un raisonnement valable, évidemment, en l’absence d’incident.

EDF peut aussi s’appuyer sur les barrages qui se trouvent sur le même cours d’eau : en lâchant plus d’eau d’ouvrages situés en amont, ou en fermant des installations situées en aval. Bref, pour l’exploitant, les leçons de 2003 ont été retenues : « L’été 2011 ne devrait pas poser de problème. » C’est aussi l’avis du gestionnaire du réseau électrique français RTE dans une note publiée le 9 juin dernier. Même si une canicule devait s’ajouter à la sécheresse, l’approvisionnement en électricité ne devrait pas être menacé cet été. Et ce, bien que notre voisin allemand ait réduit sa capacité d’exportation en fermant sept réacteurs nucléaires en mars.

« Pas de problème avant mi-août »

« D’après les données hydrologiques et climatiques que nous avons, il n’y aura de toute façon pas de problème avant la mi-août », explique-t-on au ministère de l’Industrie. Mi-mai, la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet a expliqué qu’« en dernier recours, si le débit d’eau [d’une rivière] est trop faible, le réacteur est arrêté sans dérogation possible ». Une évidence qui n’exclut pas l’hypothèse de nouvelles dérogations portant sur la température de rejet des centrales, nous a cependant confirmé son cabinet. « C’est comme ça, le nucléaire ne s’embarrasse pas des règles et des lois », lâche Jean-Marie Brom, fataliste. En attendant, la production d’hydroélectricité a baissé de 30 % au printemps. Les barrages, eux aussi, détestent la sécheresse. —

(1) Devenue « Commission locale d’information et de surveillance ».