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Sortie du nucléaire : le match France-Allemagne
lundi, 30 mai 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

L’Allemagne a franchi le pas. Après la Suisse, elle annonce qu’elle sortira du nucléaire en 2022 si le Parlement entérine sa décision. Et la France ? Pourrait-elle lui emboîter le pas ?

La dépendance au nucléaire

La France et l’Allemagne, ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet sur le terrain de l’atome. C’est l’argument très largement avancé par Jean-François Coppé quelques heures après l’annonce allemande : « 85% de notre énergie est produite par le nucléaire (…). C’est aujourd’hui un élément majeur de la puissance industrielle de la France ». En fait, si le secrétaire général de l’UMP confond « énergie » et « électricité », il a raison sur la différence d’échelle. En 2008, si la France puisait bien son électricité à 76% au robinet nucléaire selon Areva, l’Allemagne, elle, ne produisait que 28% d’électricité à partir de la même source. Du coup, l’abandon du nucléaire pour la France paraît plus ardu. Certes, admet Yannick Jadot, député européen Europe Ecologie. Mais « nous, nous proposons une sortie du nucléaire en 25 ans, et non en dix ans comme l’Allemagne. On se donne 15 ans de plus »

Les solutions alternatives

Rayer les centrales de la carte oui, mais au profit de quoi ? Dans la course aux réductions d’émissions, les énergies renouvelables semblent s’imposer. A priori, sur ce terrain l’Allemagne possède quelques longueurs d’avance. En 2009, 16,1% de son électricité était produite grâce aux énergies renouvelables contre 11,1% en France selon le baromètre Observ’ER. « Mais puisque qu’on va investir plus tardivement dans les énergies renouvelables, on va bénéficier de techniques plus efficaces. L’éolien offshore n’est pas le même qu’il y a vingt ans, la biomasse non plus », insiste Yannick Jadot.

Mieux « la France a un potentiel bien supérieur à l’Allemagne , souligne Pierre Radanne, expert en énergie et fondateur de l’entreprise de conseil Futur facteur 4. L’Allemagne n’a pas tellement de vent sauf le long de la Baltique et de la mer du Nord. Nous, nous avons une grande façade maritime. L’Allemagne a peu de montagnes. Nous avons aussi plus de bois, plus de soleil que l’Allemagne... » Reste que tout le monde s’accorde sur un point. « On ne remplacera pas 58 réacteurs par des éoliennes ou même par un mixte renouvelable », martèle Yannick Jadot. Premier objectif : réduire la consommation d’énergie.

Le prix de l’électricité

En Allemagne, l’électricité se paye au prix fort. 54% de plus qu’en France au kilowatt/heure, selon Eurostat en 2009. Et ce, grâce à l’atome. Abandonner le nucléaire reviendrait donc à gonfler la facture des Français. « Le coût de production de l’éolien est plus important et le photovoltaïque n’est pas prêt non plus d’être compétitif, souligne Bertrand Pancher député UMP de la Meuse et membre de la Commission du développement durable à l’Assemblée nationale. Est-ce que les industriels et nos concitoyens seront prêts à doubler le prix de l’électricité dans dix ans ? »

Mais l’électricité nucléaire est-elle vraiment moins coûteuse ? En fait, la bonne affaire française tient au fait que l’Etat garde la main sur les prix, selon une enquête préalable de Terra eco. Mais si l’on incluait le coût de développement des nouveaux EPR, le démantèlement des centrales ou le stockage des déchets, le prix s’en verrait automatiquement augmenté.

Le calendrier

Dans les deux pays, c’est peu ou prou la même chose. « Les centrales allemandes comme françaises ont été commandées dans les années 70 en réaction au choc pétrolier de 1973. Toutes ces centrales doivent arriver en fin de vie entre 2020 et 2035 », rappelle Pierre Radanne. C’est donc l’heure des choix pour la France comme pour l’Allemagne. A moins que, comme l’envisageaient EDF et Areva, l’espérance de vie des centrales soit prolongée de 40 à 60 ans. « Mais l’accident de Fukushima semble avoir refroidi les ardeurs », confie Pierre Radanne.

Du coup, une décision devra être prise... Et à ceux qui pense que sortir du nucléaire serait trop radical pour la France, Pierre Radanne répond : « La capacité de nos sociétés de braquer en 5 ou 10 ans est faible. Par contre à 25 ans, la flexibilité est considérable. Il y a 25 ans, on n’avait pas de TGV, aujourd’hui on a tout un réseau ! »

Les coûts d’investissements

Pour les pro-nucléaires, pas question de faire des choix hasardeux en ces temps de crise. Or, développer les énergies renouvelables semble à première vue plus cher. « Mais avec le renouvelable on n’a pas besoin d’aller acheter du pétrole, du gaz ou de l’uranium ailleurs. Et cet argent est recyclé sous forme d’emplois dans le pays », souligne Pierre Radanne. L’emploi, c’est aussi l’argument de Yannick Jadot : « Dans le secteur des renouvelables, l’Allemagne va passer de 380 000 à 600 000 emplois en 2020. Nous, on plafonne dans le nucléaire avec 50 000 emplois et pourtant 80% de notre électricité provient de cette source ! »

L’opinion publique

Jusqu’ici, l’opinion publique allemande semblait plus remontée contre le nucléaire. Mais depuis Fukushima, les Français sont devenus à leur tour, plus frileux. En mars, 70% des Français se disaient favorables à une sortie du nucléaire -selon un sondage Ifop réalisé pour Europe Ecologie-Les Verts., 42% selon un sondage TNS Sofres pour les Echos (contre 87% en Allemagne au même moment). En tout cas pour Bertrand Pancher, il est temps de demander son avis au peuple. « Est-ce vraiment à l’Etat central de prendre la décision d’un virage énergétique ou de se buter sur ses convictions sans aucun débat sur le sujet ? », interroge le député UMP qui a déposé un projet de loi pour un grand débat sur l’énergie en France.