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Une journée goutte après goutte
vendredi, 2 juillet 2010 / Audrey Garric

Imaginez une histoire entre « Kramer contre Kramer » et « 24 Heures chrono ». Les héros ? Deux Français que tout oppose. Le scénario ? Le suivi de leur consommation quotidienne d’eau.

Etes-vous plutôt Olivier ou Emmanuelle ? Bon, posée comme ça, la question peut sembler un peu tendancieuse. Mais il n’y a pas de piège, c’est juste une histoire d’eau. Olivier est un enfant des années 1970 : il a été élevé dans le culte de la baignoire, du grand lavabo et du pistolet à eau. Emmanuelle, elle, a pris un bouillon en apprenant qu’un Français consomme 137 litres d’eau par jour. Comparé aux Canadiens et leurs 326 litres, aux Américains (295 litres) ou aux Japonais (278 litres), ce n’est qu’une goutte d’eau, certes. Mais alors que certains pays se contentent de 10 à 20 litres, Emmanuelle a du mal à digérer ses 91 bouteilles d’un litre et demi quotidiennes. Depuis, elle se surveille. Suivons-les, goutte à goutte, l’espace de vingt-quatre heures.

LA DOUCHE

Olivier : Ce matin, je n’ai qu’un objectif en tête : foncer piquer une tête dans ma baignoire pour sortir du brouillard. De l’eau chaude et moussante, s’il vous plaît. Alors que je bulle, un remords me ronge : toute cette eau consommée… Mais je chasse cette mauvaise pensée d’un revers de main : de toute façon, lorsque je prends une douche, j’ai tendance à m’endormir sous l’eau. Alors, autant le faire allongé.

Emmanuelle : Se doucher, oui, mais faire boire la tasse à l’environnement, pas question. J’ai truffé ma cabine de douche de gadgets technologiques à faire pâlir d’envie James Bond. Un mitigeur thermostatique (40 euros) me permet de régler à l’avance la température souhaitée et de la maintenir. Plus besoin de laisser couler l’eau le temps qu’elle soit chaude. C’est 30 % d’eau de gagnés. Autre astuce : un pommeau de douche économique (20 euros en moyenne) qui réduit de moitié le débit – de 20 litres par minute ordinairement – en transformant le jet d’eau en micro-gouttelettes très turbulentes. Dans un manuel de sciences physiques, ça s’appelle « l’effet Venturi ». J’ai vissé sur ce pommeau un aérateur hydro-économe (5 euros), qui mélange sous pression l’air et l’eau et permet encore d’abaisser la consommation.

Et comme tout plaisir a une fin, je limite ma douche à trois minutes chrono. D’accord, je l’avoue, en éco-geek que je suis, c’est encore un gadget qui m’aide à réduire le temps passé sous l’eau. Son petit nom ? Le « waterpebble » – ou «  caillou d’eau  » en version française – qui, grâce à des capteurs, calcule le temps passé à se laver. Lors de la douche suivante, ses LED (diodes électroluminescentes) intégrées clignotent pour indiquer le temps restant, selon un code couleur : vert (c’est le début, profitez), orange (vous êtes à la moitié de votre douche), puis rouge (attention, c’est bientôt fini). Là, où le « waterpebble » est finaud, c’est qu’il diminue le temps accordé de 5 % toutes les trois douches afin de nous encourager à être 33 % plus rapide que la première fois. Le tarif de ce coach à domicile ? 8 euros, livraison comprise. Grâce à cet entraînement de choc, mon rythme de croisière tourne autour de 30 litres d’eau par douche. Des questions ?

LE BROSSAGE DE DENTES ET LE RASAGE

Olivier : Je mouille ma brosse à dents, une couche de dentifrice et c’est parti pour un brossage express car je suis à la bourre. Pas le temps de fermer le robinet. De toute façon, je n’en ai que pour deux minutes. J’enchaîne sur le rasage, au « fil de l’eau », plus pratique pour rincer la lame et chasser la mousse de ma peau. Consommation totale : 42 litres. Détail : 24 litres pour se brosser les dents, robinet ouvert, et 18 litres pour le rasage.

Emmanuelle : Eh non, je n’ai pas de barbe. Mais mon Jules si. Le matin, en se rasant, il pense à son avenir (et au mien), sans oublier celui de la planète. Je l’ai poussé à opter pour un rasoir électrique, branché sur secteur. Quand la salle de bains est – enfin – libre, je file me laver les dents. Mission : couper le robinet dès que possible. Le bon timing : trois minutes à astiquer mes quenottes, mais seulement dix secondes pour les grandes eaux et le rinçage. Pour me donner un coup de main, j’ai installé un embout mousseur qui réduit le débit de moitié, soit de 12 à 6 litres par minute. Résultat : je franchis rarement la barre des 10 litres. Et puis, lorsque les années s’inscriront sur mon front et que les cernes couperont mon visage en deux, je n’exclus pas d’investir dans un AutoSpout, un robinet automatique qui s’installe sur celui d’origine et lui permet de libérer l’eau à la demande, avec un système infrarouge. Et ce, pour seulement 50 euros.

LES TOILETTES

Olivier : Comme tous les Français, je vais aux toilettes environ trois à quatre fois par jour. Faire pipi dans la douche ou ne tirer la chasse qu’une fois sur deux pour économiser l’eau ? Bof ! Tant pis si je vide le réservoir à chaque passage : c’est tout de même plus hygiénique.

Emmanuelle : Pour réduire la consommation de mes toilettes, j’ai d’abord opté pour le système D : une bouteille pleine placée dans le réservoir (un gros galet made in Perros-Guirec, non souillé, peut faire l’affaire) pour diminuer le volume d’eau et le tour était joué. J’ai récemment cédé à la technologie en m’équipant d’une chasse à double débit, la même que celle de mon entreprise. Mes WC consomment désormais de 3 à 6 litres d’eau.

L’étape suivante sera les toilettes sèches. Quand je veux scotcher le beau-frère qui se la raconte pendant le repas de famille avec sa salle de bains hammam-sauna-spa dernier cri, j’aborde le sujet. Regards embarrassés, on me prend pour une timbrée. Alors, j’étale ma science : ces toilettes peuvent être installées en appartement et ne sont pas réservées aux écolos en poncho qui font leurs besoins au fond du jardin. « Elles sont formées d’une litière de copeaux de bois et de sciure que l’on dépose dans un caisson entouré d’un meuble. On rajoute de la litière après chaque utilisation et on vide le récipient tous les quinze jours environ », m’a expliqué Eric Sabot, auteur de La pratique du compost et des toilettes sèches et gérant de la société Label Verte. Avantages : éviter que 20 % de la consommation d’eau potable journalière ne passe à l’égout, ne pas polluer l’eau et faire du compost pour les plantes. « Il n’y a aucun risque d’odeur si les toilettes sèches sont bien conçues », m’a assuré Eric Sabot, tout en concédant que « des réticences culturelles persistent ».

Si ma famille ne veut pas franchir le Rubicon, j’ai repéré un nouveau concept au nom ésotérique : le W+W. Décryptage : « washbasin + water-closet » (lavabo + toilettes). C’est un système qui recycle l’eau utilisée dans le lavabo pour la déverser dans le réservoir du WC. « En cas de surplus ou de manque d’eau, l’équilibre est rétabli par le système d’arrivée et d’évacuation d’eau classique », précise le fabricant de sanitaires Roca, à l’origine de cette technologie. Au final, les toilettes consomment 25 % d’eau en moins qu’avec une chasse à double commande. La facture en revanche trouble cette vision idyllique : comptez 3 000 euros pour ce système. En étant un peu patiente, je pourrais peut-être me procurer, pour 10 fois moins cher, des WC Propelair. « Ils permettent de n’utiliser qu’un litre et demi d’eau grâce à un système de chasse à air », m’a assuré Garry Moore, le directeur général de Phoenix Product Development Ltd, à l’origine du concept. L’entreprise prévoit de les commercialiser l’an prochain en Grande-Bretagne et d’ici quelques années à l’export.

LA LESSIVE

Olivier : Ma chemise préférée gît dans le bac à linge sale, or demain, j’ai une réunion de la plus haute importance. Que faire ? Allez, je démarre une lessive fissa. J’y glisse deux chaussettes et trois slips tant que j’y suis.

Emmanuelle : Aucun doute, la chasse au gaspillage requiert un minimum d’organisation. Je ne fais tourner mon lave-linge, de classe A ou A+ (40 à 90 litres d’eau), qu’à pleine charge pour limiter le nombre de lessives. En cas de situation extrême, les touches « éco » et « demi-charge » m’évitent de me parjurer.

Heureusement, car l’eau que j’utilise vient du ciel ! J’ai récemment enterré dans mon jardin une citerne de 750 litres, connectée aux gouttières pour collecter l’eau de pluie. Il va sans dire que je ne m’accroupis pas tous les jours pour la récupérer : c’est une pompe électrique qui l’achemine vers les sanitaires et les appareils ménagers.

Et si la pluviométrie n’est pas suffisante, reste une solution innovante : le système Aquacycle de la marque Pontos, qui récupère les eaux usées de la salle de bains, les traite biologiquement et les stérilise avant d’alimenter le lave-linge. Encore une fois, le seul problème, c’est la douloureuse : il faut débourser 6 000 euros, livraison et installation comprises. Difficile de maintenir la tête hors de l’eau.

LA POPOTE

Olivier : Ce soir, des amis viennent dîner. Au menu : pâtes à la bolognaise et tarte aux fraises. Je remplis une casserole d’eau et la pose sur le feu. Mince, où se trouve le couvercle ? Tant pis, je chercherai plus tard. Pendant ce temps, je rince à grande eau les tomates et le persil pour la sauce, puis les fraises, une à une. Le temps que la viande cuise, j’ai oublié l’eau qui bout depuis un moment.

Emmanuelle : A moins de s’enfiler uniquement des plats préparés, impossible de se passer d’eau pour cuisiner. J’applique alors des règles de bon sens : ne pas laisser couler l’eau trop longtemps, limiter son évaporation lorsqu’elle chauffe et, une idée, rincer mes légumes dans un saladier pour arroser les plantes avec l’eau récupérée. Mais comme me l’a expliqué le Centre d’information sur l’eau, « la préparation des repas et la boisson sont les usages les moins gourmands en eau, avec respectivement 6 % et 1 % de la consommation quotidienne d’un Français ». Comme on n’est jamais trop prudent, j’opte pour l’économiseur d’eau qui régule instantanément le débit : de 10 à 12 litres par minute à 6 litres sans perte de pression. Avec celui de « l’Ecol’eau attitude » de l’ONG Solidarités international, j’économise l’eau ici et sauve des vies là-bas.

LA VAISSELLE

Olivier : Direction la plonge. Je remplis le bac de lavage à rabord pour y faire tremper la vaisselle. Puis, je rince consciencieusement chaque plat. Le robinet grand ouvert, pas de pitié pour les bactéries.

Emmanuelle : J’ai opté pour un lave-vaisselle. Avec un programme court (30 à 40 minutes) ou le mode « éco », je limite ma consommation d’eau à 10 litres en moyenne, selon une étude du laboratoire Eurofins. Evidemment, tout tombe à l’eau si vous prélavez chaque assiette à la main avant de la glisser dans le lave-vaisselle. Pas vraiment une bonne idée !

Comme pour les autres robinets de la maison, les fuites sont devenues mes pires ennemies. Un goutte-à-goutte et ce sont près de 100 litres d’eau perdus par jour. Soit, si vous avez bien suivi, deux douches ou une lessive. Alors, pour traquer ces perfides adversaires, j’ai trouvé une technique imparable, digne de Piège en eaux troubles : je relève le compteur le soir puis le matin suivant, sans utiliser d’eau pendant la nuit. Si le test est positif, il ne reste qu’à les débusquer et les zigouiller. Mais il arrive qu’elles soient bien dissimulées. Dans ce cas, il est possible d’engager un boîtier créé par la société Hydrelis. Nom de code : « Clip Flow ». Mission : détecter les changements de débit dans les canalisations et couper l’arrivée d’eau en cas d’alerte. Gage : 400 euros.

LA VOITURE

Olivier : Ma voiture, c’est important. Chaque semaine, c’est le même rituel beauté : je la sors, la savonne, la rince et la lustre avec amour.

Emmanuelle : Gaspiller toute cette flotte pour une voiture, pas question ! Elle prendra une douche à l’eau de pluie de temps en temps. Pour récupérer l’or bleu, j’ai testé la solution la plus simple : des seaux à la descente des gouttières. Faut juste avoir fait un peu d’haltérophilie dans sa jeunesse… Pour les grandes occasions, j’emmène la guimbarde faire un soin du corps. Son institut, c’est la station-service du coin, qui utilise 80 litres de moins que lorsque Bibi fait joujou avec le jet à domicile. Les eaux usées, chargées de détergents, y sont récupérées et ne se faufilent pas dans les égouts.

LE JARDIN

Olivier : Retour du boulot. Le soleil tape. Je n’ai qu’une seule envie : m’offrir une sieste à l’ombre du saule pleureur. Et là, horreur : le sol est totalement desséché façon désert du Nevada. Ni une ni deux, je me saisis d’un arrosoir qui traîne et donne à boire à la pauvre créature en état de déshydratation avancée. J’en profite pour arroser les bégonias.

Emmanuelle : Je profite de la fraîcheur de la nuit pour flâner entre les bosquets, humer les délicats parfums des fleurs et… arroser la pelouse. Oui, ça casse la magie de l’instant, mais c’est la meilleure période de la journée pour le faire. L’eau pénètre mieux dans le sol et l’évaporation est limitée. Pour limiter encore la consommation, il ne faut pas avoir peur de se salir les mains : biner la terre régulièrement et pailler le sol permet une meilleure pénétration de l’humidité.

Et si j’ai besoin de ma dose de technologie, des systèmes de surveillance de l’état hydrique des sols se développent. Avec le TensioManager, de la société Hydrasol, le jardinier 2.0 peut suivre en temps réel, sur Internet, la teneur en eau de ses végétaux et configurer un programme d’arrosage adapté. Aujourd’hui, ce système, qui se facture 4 000 à 6 000 euros, concerne plus les collectivités que les particuliers. Mais qui sait dans quelques années ? —

Illustration : Christelle Enault

- Le Centre d’information de l’eau, pour tout savoir sur l’eau

- Les usages de l’eau au Royaume-Uni

- Les gestes pour réduire sa consommation d’eau (Défi pour la Terre)

- 100 astuces pour réduire sa consommation d’eau (en anglais)

- Consommation d’eau pour la vaisselle

- Waterpebble

- Propelair

- W + W

- Clip Flow

- TensioManager


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