A mesure que les glaces fondent, les pôles gagnent en attractivité. Si le cas de l’Antarctique a été classé jusqu’au moins en 2041 - le Traité de Madrid interdisant de faire main basse sur ses ressources - c’est une autre paire de manches pour son cousin du Nord. Autrefois protégé par son épaisse banquise, l’Arctique (du mot "ours" en grec ancien) part à vau l’eau, surtout l’été, et réveille les convoitises. La faute au réchauffement (+0,38°C par décennie depuis 1979, soit le double du réchauffement moyen sur l’ensemble du globe), mais aussi à l’influence des cycles naturels. Toujours est-il que les surfaces couvertes par la glace arctique ont diminué de 8% depuis les années 1970, et les chercheurs tablent sur 2060 comme date de la disparition totale des glaces en été.
Course à l’échalote
La fonte de la banquise ouvre des voies maritimes et les pays riverains se lancent dans des opérations "de cow-boy", comme en 2007, lorsqu’une équipe russe a planté un drapeau russe à 4 621 mètres de profondeur. "C’est une zone de non-droit où n’importe qui peut faire n’importe quoi", déclarait il y a un an Michel Rocard, nommé ambassadeur de France chargé des négociations internationales sur les pôles.Face à ces manœuvres, Pékin s’inquiète mais ne dit mot. De fait, la Chine n’a pas son mot à dire, puisqu’elle ne fait pas partie du cercle restreint des pays de l’Arctique, pays dont les côtes sont au contact de l’océan Arctique, à savoir : Canada, États-Unis (avec l’Alaska), Danemark (par le Groenland), Russie, Norvège. D’autre part, afficher ouvertement ses prétentions, c’est risquer de se griller auprès des pays nordiques. Telles sont du moins les conclusions, publiées cette semaine, de l’analyse approfondie de Linda Jakobson, du SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm). Côté cour, Pékin affirme vouloir rester neutre et plaide pour une résolution des différends par le dialogue. Côté jardin, elle encourage paradoxalement les pays de l’Arctique à considérer "les intérêts communs de l’humanité"...
Le plus court chemin vers le client
Pourtant, les choses changent. D’une part, explique Linda Jakobson, "les dirigeants chinois ont commencé à réfléchir à quel type de politiques pourrait aider la Chine à tirer parti d’un espace arctique sans glace". D’autre part, des voix de chercheurs chinois font pression pour que Pékin se positionne dare-dare, faute de quoi la Chine pourrait être hors course.Si la Chine a intérêt à jouer sa carte dans l’Arctique c’est d’abord parce que faire naviguer ses navires par Béring lui permettrait de gagner du temps, du moins lorsque les glaces auront réellement disparu. Le trajet Shanghai Hambourg par le nord fait ainsi 6 400 km de moins que par le détroit de Malacca et le Canal de Suez. Or une grosse partie du PIB chinois repose sur le transport maritime et l’Arctique, qui plus est, n’est pas encore truffé de pirates. « Qui contrôle la route de l’Arctique contrôlera le nouveau passage des économies mondiales et les stratégies internationales », affirme ainsi un chercheur chinois.
Ali baba polaire
Autre atout de taille : l’Arctique est un réservoir de minerais et d’énergies fossiles. La région renfermerait près de 30% des réserves mondiales de gaz et 15% à 20% de celles en pétrole. A quoi s’ajoutent charbon, cuivre, diamants, or, argent, manganèse… Certes pour en profiter, il faudra savoir aller les chercher, mais la Chine mise sur des partenariats avec l’étranger.Face à ces opportunités, comment se comporte la Chine sur l’échiquier ? D’abord, elle expédie depuis 1984 ses scientifiques en Antarctique (et depuis 1999 en Arctique), rappelle Linda Jakobson. Ensuite, elle consacre un budget recherche spécifique pour les pôles et prévoit d’étrenner en 2013 un brise glace high-tech de 200 millions d’€. Les chercheurs chinois participent aussi à des séminaires internationaux depuis plus de 10 ans et Pékin brigue un poste d’observateur permanent au Conseil de l’Arctique, un forum intergouvernemental de coopération des états de l’Arctique. Surtout, comme l’y poussent les critiques internes, Pékin s’apprête à définir une stratégie à cinq ans pour ses expéditions et ses projets de recherche. Enfin, preuve qu’elle anticipe quand même, la Chine possède la plus grande ambassade de Reykjavik, pour les jours où l’Islande sera devenue un important port de transit.
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