Sensibilisé à la cause environnementale lors de reportages pour le quotidien hong-kongais South China Morning Post, dans les années 1990, Ma Jun ne s’est jamais remis de la couleur de certains fleuves chinois, ni du tarissement du cours du Fleuve Jaune, pourtant « rivière mère » de la Chine.
De son expérience de terrain il tirera un livre choc, paru en 1999 - "La crise de l’eau en Chine" - et qui est considéré comme un jalon dans la prise de conscience écologique du pays. Au terme de sa démonstration, Ma Jun prédit une crise de l’eau sans précédent si Pékin continue à ne pas s’attaquer à la pollution.
Voyant ses lecteurs lui demander des solutions, Ma Jun prend alors conscience qu’il a mis le doigt dans une aventure qui allait l’entraîner très loin. En 2006, il monte à Pékin une ONG indépendante, "l’Institut pour les affaires publiques et l’environnement" (IPE), grâce à laquelle il part à l’assaut des statistiques chinoises.
Faire parler les statistiques
L’écologiste se fixe comme objectif de collecter toutes les données publiques disponibles – venant d’agences gouvernementales, de municipalités ou de ministères - sur la pollution de l’eau, et de les rassembler sur le site de son organisation. Il s’agit pour lui de constituer la première base de données nationale unifiée afin de mettre en carte cette pollution. L’initiative lui vaudra d’être nommé en 2006 l’une des 100 personnes les plus influentes dans le monde par le magazine Time.Au final, l’internaute n’a plus qu’à cliquer sur sa région pour voir s’afficher toutes les données publiques disponibles sur la qualité de l’eau ainsi que le nom des entreprises polluantes. "La meilleure arme contre la pollution, c’est d’impliquer la population en l’informant", résume Ma Jun. Coup de chance, la loi chinoise évolue justement dans le sens d’une plus grande transparence des données environnementales, et l’autorise à demander des comptes aux villes. Au total, l’IPE est passé de 2 500 enregistrements d’entreprises épinglées pour violation des lois sur l’eau en 2006 à plus de 41 000 aujourd’hui, à quoi s’ajoutent 15 000 entreprises épinglées pour pollution de l’air.
Mais ces bonnets d’ânes ne passent pas forcément très bien, et certains gouvernements locaux n’ont pas hésité à envoyer des émissaires à Pékin pour tenter - en vain - d’effacer des listings le nom de certaines entreprises qu’ils considèrent comme des vaches à lait. "Notre but n’est pas de menacer mais d’inviter les entreprises à prendre des mesures correctives, précise Ma Jun. Si elles ne sont pas d’accord avec les données que nous avons collectées, je leur laisse un espace pour s’exprimer". Sur la totalité des entreprises répertoriées, 186 ont pris contact avec l’écologiste, puis fourni des explications et indiqué comment elles allaient résoudre les problèmes.
Une base de données ambitieuse
Après quatre ans de travail de fourmi, Ma Jun et son équipe souhaitent plus que jamais enrichir leur base de données. Le but étant de fusionner les informations disponibles sur l’eau et l’air et d’en ajouter de nouvelles sur les déchets dangereux et les émissions carbone. Par ailleurs, l’IPE fait pression en amont sur les 113 plus grosses villes de Chine en publiant un classement de celles qui œuvrent le plus à la transparence de l’information environnementale.Un autre levier d’action, appelé "Green Choice Initiative", consiste à inciter les acheteurs - et notamment les multinationales - à choisir leurs fournisseurs en fonction de leur attitude respectueuse envers l’environnement.Même si le chemin est encore long, Ma Jun note tout de même des changements plutôt positifs depuis le début de son combat. « Certes, rivières et lacs ne vont pas forcément mieux et le système judiciaire est encore très réticent à rendre justice en cas de contentieux environnemental, explique-t-il. Mais les Chinois sont de plus en plus conscients des conséquences néfastes de la croissance sur leur environnement et sur la santé, et le gouvernement se fixe des objectifs d’efficacité énergétique et de contrôle de la pollution, chose impensable il y a 10 ans ».
Reste encore à dissiper la méfiance naturelle qui existe en Chine entre l’État, les ONG et les entreprises. "Nous n’avons pas une longue tradition de participation publique et de transparence environnementale. Même si nous sommes passés d’une seule ONG environnementale indépendante enregistrée en 1994 à 700 aujourd’hui, la plupart sont petites et fonctionnent sans moyens."
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