Quel est le point commun entre les garagistes, les coiffeurs, et les déménageurs ? Réponse : les Pages Jaunes. Ces professions partagent un même intérêt pour l’annuaire, moyen "efficace" et "incontournable" de trouver des clients, dixit un déménageur. Toutes les trois figurent dans le Top 10 des plus gros acheteurs d’espaces publicitaires du Bottin. Avec les électriciens et les pompes funèbres.
Vous pensiez que l’épais volume, planqué sous le pied de la vieille armoire bancale, était un annuaire ? En fait, c’est un aspirateur à publicité. L’éditeur de ce best-seller, la société PagesJaunes, filiale de France Télécom cotée en Bourse depuis quelques jours, vend des espaces promotionnels dans ses colonnes. Et en tire la quasi-totalité de ses ressources (97,8%). Voilà donc une affaire comme tant d’autres : l’édition des Pages Jaunes, contrairement à celle des Pages Blanches, n’entre pas dans le cadre des obligations légales du service public.
Tout s’achète, même le caractère
Pour remplir ses colonnes et ses caisses, la société PagesJaunes emploie une armée de dragueurs, 1500 commerciaux en France, qui frappent aux portes des entreprises, artisans et professions libérales. Leur cible : les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas les moyens de se payer une tranche de publicité ailleurs. L’inscription dans les Pages Jaunes est gratuite, mais tout le reste s’achète. Du simple grossissement de caractère dans les colonnes de l’annuaire, à la publicité pleine page en quadrichromie.Pour allécher les professionnels, la société vante l’efficacité de son audience : "82% des consultations sont suivies d’un contact commercial qui, plus d’une fois sur deux, débouche sur un achat." Imparable. Pas question donc de faire des Pages Jaunes un vulgaire catalogue publicitaire, réalisé au mépris des utilisateurs. "Avant tout le public doit être satisfait du service offert par PagesJaunes, sinon la pub ne peut pas fonctionner, argumente un porte-parole de la société. Notre métier est de vendre notre audience à des annonceurs." La recette semble fonctionner. Les dizaines de millions de Français qui consultent les Pages Jaunes chaque mois, et que la société monnaye à 500000 professionnels, ont rapporté 183 millions d’euros de bénéfices en 2003, sur un chiffre d’affaires de 917 millions.
L’annuaire n’est pas l’Evangile
Avec une telle force de frappe, l’entreprise PagesJaunes ne craint pas trop la concurrence. En tout cas pas celle des autres annuaires, comme le Bottin/l’Annuaire Soleil, à l’audience confidentielle. Peut-être davantage celle des médias locaux - quotidiens régionaux, presse gratuite - qui draguent les mêmes annonceurs. Alors pour enfoncer le clou, la société compte entre autres "sur des activités qui s’ouvrent à la publicité, notamment les professions libérales (avocats, médecins, etc)", apprend-on dans le document publié à l’occasion de l’introduction en Bourse. Dans la rubrique avocats, les premiers encarts rémunérés ont fait leur apparition. Pour les médecins, le Conseil de l’ordre s’y oppose encore.Ce commerce lucratif a tout de même ses limites, qui font verdir certains professionnels. En cause : la publicité mensongère. Dans les Pages Jaunes, certains déménageurs affichent des gages de qualité, comme la marque NF Service, qu’ils ne possèdent pas. "Les consommateurs pensent que les Pages Jaunes sont une référence. C’est faux. Si c’est écrit dans les Pages Jaunes, c’est juste que l’annonceur a payé pour cela", râle Laura Ciriani, de la Chambre syndicale du déménagement. Elle juge "regrettable" l’absence de contrôle sur le contenu des publicités dans l’annuaire. De fait, l’annonceur est seul responsable de ce qu’il écrit. Ici, pas de Bureau de vérification de la publicité : celle-ci est en liberté. La société limite ses contrôles aux professions "à risque" comme les voyants.
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