Le juste prix écologique

Lester R. Brown est un ambitieux. Dans son Eco-Economie, l’ex-président du Worldwatch Institute (centre de recherches axé sur le développement durable et la justice sociale), tente rien moins que dresser un panorama exhaustif de ce que sera notre civilisation quand elle respectera l’environnement. En un mot : comment nourrir et apporter le confort au monde entier sans épuiser les ressources de notre planète ? La somme de travaux, de chiffres et d’arguments apportés dans l’ouvrage est tellement impressionnante qu’on ne tentera pas de la résumer. Indiquons simplement que Brown n’est pas un apôtre de la "décroissance". Il ne nous dit pas : pour sauver le planète, chacun doit se serrer la ceinture, renoncer à ses petits conforts et à la consommation. Il est trop réaliste pour cela !

Brown souhaite tout de même édifier un modèle économique différent : une économie qui pratique le recyclage au lieu du gaspillage de matières non renouvelables et un développement qui renonce à la production de déchets. Energies renouvelables - éolien, solaire, hydrogène - au lieu d’énergies plus ou moins sales ou de sources tarissables - pétrole, gaz, nucléaire -, pisciculture d’élevage renouvelable à l’infini, pompages qui n’épuisent pas les nappes, reboisement systématique des forêts rabotées. La liste est longue. Que tous ceux qui se sentent soucieux de l’état de l’environnement lisent cet ouvrage. Il leur démontrera que l’écologie n’est pas une utopie, juste un modèle de pensée exigeant.

Bouleversement historique

Mais l’intérêt profond d’Eco-Economie, l’originalité de sa thèse, repose surtout sur cette affirmation : les prix du marché doivent "dire la vérité écologique". C’est-à-dire qu’ils prennent en compte ce qu’ils coûtent à la planète. Par exemple, un bois qui provient d’une forêt stratégiquement placée doit coûter beaucoup plus cher qu’un bois provenant d’une forêt replantée. Il faut en effet intégrer à son prix le coût des futures inondations et de l’érosion de sols - néfastes à l’agriculture - que cette déforestation va immanquablement occasionner. Brown souhaite que scientifiques et écologistes calculent ensemble le "prix écologique" de chaque produit et service, prix réintégré au marché. Pour autant, lui n’est pas un économiste libéral : son système exige une intervention étatique forte, une politique de taxes, de subventions, de labels et de permis écologiquement ciblés.

Brown admet que son projet "exige une restructuration de l’économie d’une ampleur que, historiquement, seuls les temps de guerre ont connue". Sur ce point, difficile d’être aussi optimiste que l’auteur. Il suffit d’observer le poids des lobbies automobile, agroalimentaire ou chimique sur les décisions publiques, le désengagement des politiques face aux forces des marchés et l’ignorance des opinions publiques, pour se dire que le courage des gouvernements est un facteur de changement plus qu’incertain. Quelle est la place de l’éco-économie dans un monde qui livre des guerres pour du pétrole ?

Le site du Worldwatch Institute