Le parcours débute par un mal de mer. Projeté sur un mur blanc, un patchwork de vidéos tournées au téléphone portable donne un aperçu du lot de risques et d’espoirs que charrie une traversée de la Méditerranée. A l’entrée de l’exposition « Frontières », qui jusqu’au 29 mai 2016 au Musée de l’histoire de l’immigration, l’œuvre Harragas – « ceux qui brûlent » en arabe nord-africain – pose d’emblée sa résonance avec l’actualité. La démarche est critique, il s’agit d’« une exposition sur les limites et leurs limites », préviennent les affiches. « A l’utopie d’un monde sans frontières où chacun serait libre de circuler, de s’installer et de travailler s’oppose un contrôle renforcé, voire une militarisation des frontières », constatent en introduction les commissaires de l’expo, l’historien Yvan Gastaut et la sociologue et géopoliticienne Catherine Wihtol de Wenden.
Face au choc provoqué par la mort de 3 770 migrants en 2015 en Méditerranée, au trouble suscité par l’afflux de réfugiés syriens dans les pays européens, une virée au musée de la porte Dorée, à Paris, permet de prendre du recul, d’élargir la focale. Au gré d’un parcours thématique où se répondent 250 pièces - objets de mémoire, œuvres d’art, extraits de presse et témoignages de migrants –, le visiteur navigue entre présent et passé : entre la salle des passeports de la Préfecture de police de Paris en 1920 et les écrans de contrôle de Frontex aujourd’hui. On remonte jusqu’au XIXe siècle, tournant avant lequel « il était plus facile d’entrer dans un pays que d’en sortir ».
« Aucune barrière n’a résisté à la pression des hommes »
Les époques dialoguent dès le sas d’entrée où les vidéos de « ceux qui brûlent » côtoient la Grande Muraille de Chine. Dans la salle suivante, le plus grand ouvrage conçu pour séparer les hommes laisse place à ses cousins contemporains : le no man’s land de quatre kilomètres qui sépare les deux Corées, le sas technologique entre les Etats-Unis et le Mexique ou encore le mur entre Israël et Palestine que l’on voit s’ériger, au mont des Oliviers, en vidéo et en accéléré. Sans oublier celui de 3 200 kilomètres qui sépare l’Inde du Bangladesh. « Une personne meurt tous les deux ou trois jours au pied de ce mur », commente la guide accompagnant une classe de lycéens devant la série de photo de Gaël Turine (voir diaporama ci-dessus).
Un coup d’œil aux légendes et l’on passe au futur : « Le Bangladesh aura perdu la moitié de ses terres d’ici à 2050. » A cette même date, l’Organisation internationale pour les migrations craint, à l’échelle mondiale, que les dérèglements climatiques aient engendré 200 millions de réfugiés (lire son rapport en pdf). Une phrase glanée dans le texte d’introduction resurgit alors à l’esprit : « Sur le temps long, aucune des barrières matérielles n’a résisté à la pression des hommes. » Celle du continent indien ne fera probablement pas exception.
« Retracer les histoires singulières »
L’exposition, fruit de deux ans et demi de travail préparatoire, fonctionne par zooms. D’abord sur la « forteresse Europe » puis sur la France, « destination et point de passage » aux 35 frontières, avec un crochet final par la Guyane française, ce territoire qui rend l’Europe voisine de l’Amérique latine. Quelle que soit l’échelle, la démarche reste la même : « retracer les histoires singulières de ceux qui traversent », donner des aperçus de ce que sont ces vies d’exil, de bagages et de postes-frontières.
A quelques pas d’une œuvre dénonçant l’inhumanité de centres de rétention, la carte d’étranger de Pablo Picasso laisse songeur. « Se pourrait-il qu’un jour on ne considère plus celui qui circule librement comme un criminel en puissance ? », s’interrogent les commissaires. En guise de conclusion, ils proposent d’imaginer la possibilité d’un monde ouvert « plutôt comme le résultat de droits à conquérir que comme une utopie ».
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