La scène se passe au cœur de la Galerie des solutions. Cet espace réservé aux entreprises a élu domicile au musée de l’air et de l’espace, à quelques encablures du centre de conférences du Bourget. A l’extérieur, les carcasses d’une navette et d’un avion se disputent l’horizon. A l’intérieur, les stands de l’Arabie saoudite, de Dubaï – mais aussi de Thales et de Bouygues – affichent en maquettes leurs dernières technologies. Dans un coin du hangar, une foule se presse autour d’un studio aménagé pour l’occasion. Là, sous la lumière de vifs projecteurs, quatre hommes sont alignés sagement derrière deux tables en verre. Quatre grands pontes de la science aux CV longs comme un bras télescopique.
De droite à gauche, voici Ken Caldeira, spécialiste de l’acidification des océans au Carnegie Institute, Kerry Emanuel, chercheur en météorologie au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), Tom Wigley, climatologue de l’université Adelaïde (Australie), et enfin James Hansen, ex-directeur du Goddard Institute de la Nasa, surtout connu pour avoir alerté, dès 1988, le Congrès américain sur les risques du changement climatique. Rien de moins. Et si ces quatre-là sont venus, c’est pour défendre une chose : le nucléaire comme option indispensable à la lutte contre le changement climatique.
Question d’urgence
« La magnitude du problème est telle que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser une technologie inutilisée. Nous devons dépasser nos préjugés et nous occuper d’urgence du problème du changement climatique », a souligné Ken Caldeira, sans manquer de rappeler qu’il était, dans le temps, un détracteur actif de la technologie nucléaire et qu’il fut même arrêté lors d’une manifestation devant une centrale. « Nous sommes des scientifiques et nous faisons nos calculs. Si nous sommes vraiment sincères et que nous voulons résoudre ce problème (du changement climatique, ndlr), à moins d’un miracle, nous allons devoir augmenter la capacité nucléaire très vite », a poursuivi Kerry Emanuel. « La majorité des scientifiques sont d’accord pour dire que le nucléaire doit faire partie de la solution, a abondé James Hansen. Mais quand vous vous levez pour dire ça, une communauté entière d’antinucléaires que je caractériserais de quasi religieuse vous tombe dessus. »
Il faut dire que les quatre scientifiques arrivaient en terrain partiellement miné. Autour de leur petit groupe, une forêt de micros mais aussi les mines parfois sceptiques de membres de la société civile, peu convaincus par la solution de l’atome. Auprès de ceux-là, les quatre ont voulu tempérer les choses : « Nous ne promouvons pas l’énergie nucléaire, nous promouvons des règles du jeu équitables, a tenu à rappeler Tom Wigley. Puisque ce problème est si exigeant et complexe, nous réclamons que la porte ne soit fermée à aucune technologie. »
« Avec tout le respect que je leur dois pour leur contribution scientifique, je regrette de les voir se servir de leur notoriété scientifique pour sortir de leur domaine de compétence, s’agaçait, au sortir de la conférence, Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, un institut spécialisé dans la recherche énergétique peu porté sur l’atome. En tant que scientifiques, ils ont le sentiment de pouvoir comprendre les questions énergétiques, mais en fait leur culture sur l’énergie est la culture de citoyens moyens. »
Si l’expert s’agace, c’est notamment d’assertions comme celle portée par Kerry Emanuel : « Nous pouvons faire croître le solaire et l’éolien jusqu’à une certaine limite, mais nous allons nous heurter très vite au problème de l’intermittence. Nous pouvons atteindre 30%, puis nous atteindrons un mur. On ne peut pas alimenter le monde en énergie renouvelable », a assuré le chercheur du MIT. Une vision poussée encore par Ken Caldeira : « Les renouvelables, ça veut souvent dire des barrages qui détruisent les écosystèmes des rivières, ça signifie souvent qu’il faut couper des arbres pour les bruler dans des centrales. Les renouvelables, ce n’est pas forcément acceptable écologiquement », a souligné le chercheur du Carnegie Institute, avant de poursuivre : « Beaucoup d’énergies renouvelables requièrent la réquisition de larges espaces ou le déplacement d’écosystèmes naturels. »
Une vision bien trop centralisée de l’électricité pour Yves Marignac : « L’idée même qu’on puisse mettre des panneaux photovoltaïques sur des toits ne semble pas leur venir à l’esprit. Ils restent complètement imprégnés d’une vision des systèmes énergétiques qui est la vision d’il y a cinq ans, dix ans. » Or, assure-t-il, les choses sont bien différentes aujourd’hui : « On a une vision d’un système avec des énergies renouvelables variables très décentralisées, un pilotage croissant de la demande, des solutions de stockage qui vont apparaître petit à petit. En clair, la vision d’un système beaucoup plus flexible. » Et de conclure : « Ce qui me désole, c’est que ces chercheurs se trompent de combat. En appelant à faire plus de nucléaire, ils détournent une partie des efforts à faire pour améliorer l’efficacité énergétique et les renouvelables. Ils se tirent une balle dans le pied par rapport à l’urgence climatique et par rapport à la préoccupation première que nous partageons tous ici : réduire très fortement et très vite les émissions de gaz à effet de serre. »
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