Dans un texte vivifiant, intitulé « Un usage citoyen du métier d’historien : repenser la transition énergétique sans la COP21 » (A télécharger ici en pdf), Anael Marrec, Paul Naegel et Pierre Teissier*, de l’université de Nantes, donnent des clés pour aborder la question du changement climatique plus globalement que dans le cadre de la conférence sur le climat du Bourget, parasitée qu’elle est par les agendas politiques.
Terra eco : Quelle peut être la portée d’un événement comme la COP21 ?
Pierre Teissier : La COP21 est entourée d’une rumeur médiatique qui annonce des retombées immenses alors qu’elle s’inscrit dans un cycle institutionnel de plusieurs décennies. De plus, elle pose les mauvaises questions. La COP montre l’absurdité de réduire le « changement climatique » à une politique des seuils de pollution et à des promesses qui ne seront pas tenues. Il faut, au contraire, comprendre le problème de l’émission des gaz à effet de serre dans sa dimension qualitative et le relier aux autres problèmes environnementaux posés par les sociétés industrielles : désertification, déforestation, atteinte à la biodiversité, pollution des eaux, des sols, de l’atmosphère, déchets nucléaires, déchets plastiques dans l’océan (le septième continent), etc.
Dans cette perspective, quel est l’apport de l’histoire pour penser la transition énergétique ?
Nous avions pour ambition de croiser nos connaissances d’historiens des sciences avec nos engagements de citoyens pour prendre position dans le débat public sur la transition énergétique. L’apport se situe à deux niveaux. Au niveau des discours, l’analyse épistémologique montre qu’une véritable « transition énergétique » ne peut être conçue comme une redistribution de pourcentages entre différentes sources d’énergie, mais implique des transformations sociales et économiques profondes pour s’éloigner du dogme « croissance = bonheur ». Au niveau des structures sociales, l’évolution des « systèmes énergétiques fossiles » montre la mise en place de la démesure de la civilisation industrielle. Une sobriété énergétique, une relocalisation des activités et une prise en compte des critiques alternatives (Luddites, romantiques, néomalthusiens, décroissants, zadistes…) permettraient de réduire drastiquement les besoins énergétiques des sociétés humaines. Ainsi pourraient être résolus les problèmes environnementaux, reconfigurés les rapports sociaux et redéfinis les comportements culturels.
Quels sont, à votre avis, les véritables enjeux du combat écologique aujourd’hui ?
L’expérience montre que, lorsque les intérêts économiques sont menacés, les politiques n’agissent pas. Le profit à court terme est préféré aux problèmes à long terme. Compte tenu des multiples temporalités en jeu, il appartient aux citoyens de chercher de nouvelles formes de coordination politique pour mener des actions écologiques sur le temps moyen, de la décennie au siècle, en trouvant des solutions pour contourner les forces contraires, notamment les systèmes financiers, qui ordonnent la rentabilité du travail, les logiques médiatiques, qui manipulent les opinions, et les conglomérats économiques, qui dominent la civilisation industrielle depuis deux siècles. Cette multiplicité de temporalités est aussi à l’œuvre dans le cas du nucléaire et aucune solution pérenne n’a été trouvée jusqu’à présent, notamment pour le démantèlement des centrales nucléaires en fin d’opération et pour la gestion des déchets. C’est un problème qui se pose pour les milliers d’années à venir.
* Paul Naegel, chercheur associé au Centre F. Viète, Anaël Marrec, doctorante au Centre F. Viète, Pierre Teissier, maître de conférences au Centre F. Viète Centre François Viète d’épistémologie et d’histoire des sciences et des techniques - Université de Nantes
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