Métro de Paris, station Bercy, quai de la ligne 6. Sur l’affiche en 4x3 qui annonce les masters de Paris-Bercy – ou BNP Paribas Masters – avec un Jo-Wilfried Tsonga plus grand que nature, s’est incrusté un plus petit tennisman portant un costume trois pièces et un masque à gaz. « BNP Paribas, le climat n’est pas un jeu », indique le dessin placardé sous le bras du champion. Pour peu que le féru de tennis soit venu au tournoi en transport en commun, il ne pourra pas ignorer que l’organisateur, pourtant sponsor de la COP21, investit massivement dans l’énergie la plus émettrice de gaz à effet de serre : le charbon. A l’extérieur, des dizaines de slogans « Stop charbon » inscrits au pochoir sur la chaussée montrent la voie qui mène à Jo-Wilfried Tsonga.
« L’objectif, c’est d’interpeller, de mettre la pression et saper la réputation », explique Lucie Pinson, chargée de campagne « banques privées » au sein de l’association les Amis de la terre. Mardi, BNP Paribas a également été nommé aux prix Pinocchio, organisés chaque année par la même association pour dénoncer le greenwashing des sociétés. Ce jeudi, une banderole a été déployée dans les tribunes du même tournoi au cas où le message ne serait pas passé.
Pour BNP, « arrêter le charbon n’est pas réaliste »
Le timing n’est pas fortuit. L’acharnement n’est pas gratuit. Un rapport intitulé Banques françaises, quand le vert vire au noir et réalisé par Oxfam France et Les Amis de la terre, sorti ce jeudi, indique que BNP Paribas est toujours le premier financeur français des énergies fossiles, le cinquième mondial. Contrairement à certains acteurs du secteur (Voir encadré au bas de cet article) à l’approche de la COP21, la banque – qui entre 2009 et 2014 a investi 52 milliards d’euros dans les énergies fossiles – n’a pas l’intention de détourner ses deniers de la plus sale des énergies.
« Arrêter le charbon n’est pas réaliste », commente son service communication. « Là où il n’y a pas d’autres ressources d’énergies, on est quasiment obligés d’en exploiter. Il y a bien sûr les considérations environnementales mais elles ne doivent pas occulter les considérations humaines », se justifie le groupe, citant l’exemple de l’Inde « où 16 millions de personnes peuvent bénéficier de l’électricité uniquement grâce au charbon ». La banque, qui rappelle au passage être « un bon élève en tant que financeur de la COP21 », précise qu’elle sélectionne tout de même ses projets avec soin. « Depuis l’adoption de notre politique sectorielle en 2011, nous avons refusé un tiers des projets qui nous ont été soumis car, au regard de nos critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ils ne nous apparaissaient pas satisfaisants » se félicite le groupe. « Nous ne construirons pas de centrale à charbon dans les pays où cela ne correspond pas au mix énergétique, par exemple dans ceux où il n’y a pas de mines de charbon et qui doivent en faire venir de très loin », poursuit BNB Paribas avant de finalement relativiser : « Le charbon représente 40% du mix électrique mondial, seulement 23% du mix électrique que nous finançons. »
Mais un article publié en janvier dans la revue Nature, semble avoir échappé aux équipes de BNP Paribas. Les chercheurs de l’University College de Londres y concluaient qu’« un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80% du charbon » doivent rester sous terre pour éviter que la hausse des températures mondiales dépasse les 2°C.
Dernier de la classe
Au delà de ses justifications, BNP Paribas reste, au vu des montants investis, le dernier de classe à l’échelle nationale. Mais le bulletin est mauvais pour l’ensemble du secteur bancaire français (Voir infographie ci-dessous). « On a pris les chiffres ces six dernières années, on aurait aimé annoncer un trajectoire de baisse. Mais le seul fléchissement qu’on constate, en 2009, est totalement lié à la crise », commente Alexandre Naulot, chargé de plaidoyer sur les financements à Oxfam France. Sans la moindre intention de lever le pied sur le pétrole, le gaz et le charbon – du moins jusqu’en mai dernier –, les cinq plus grosses banques françaises contribuent à elles seules à 18% des investissements dans les énergies fossiles des 25 plus grandes banques mondiales. De leurs côtés, les énergies renouvelables restent sous-financées. « On a été très surpris, on pensait voir se dégager une augmentation nette des investissements dans les renouvelables, il n’en est rien. » Les ONG appellent donc l’ensemble des banques françaises à annoncer des engagements de sortie du charbon avant la COP21.
Après une bataille menée contre les énergéticiens, qui a débouché sur des engagements d’Engie, les ONG ont braqué leur viseur sur les banquiers. « Le levier financier est un moyen très efficace de faire bouger l’économie et d’accélérer la transition », estime Lucie Pinson. S’attaquer aux établissements français n’est pas un acte de chauvinisme. « Ce ne sont pas des petits joueurs, poursuit la militante. Si devant le risque de réputation, des banques françaises refusent de financer certains projets, il y a de fortes chances que les banques d’autres pays réfléchissent à deux fois avant d’y aller ». Pour l’heure, cet effet d’entraînement reste théorique. Malgré les engagements de Natixis et du Crédit agricole (Voir encadré), le top 15 des banques internationales les plus impliquées dans le financement des énergies fossiles accueille toujours trois établissements français.
« Prochain train dans une minute. Le suivant dans trois minutes. » A peine l’annonce monocorde de la RATP terminée, une voix enjouée prend le relais : « Trois minutes ! On termine et on prend celui-là », lance Lucie Pinson, mains colorées par une bombe, désormais assorties au T-shirt vert des Amis de la terre. Alors à toute vitesse, les deux graffeurs professionnels et la quinzaine d’activistes présents passent un dernier coup de rouleau, bombent un pochoir avant de s’engouffrer dans le métro. Direction Daumesnil où est installée une agence BNP Paribas. L’occasion d’inciter les passants en route pour les distributeurs à opter pour une banque plus propre.
Natixis, Crédit agricole : des engagements à mi-chemin
En France, « on a les deux meilleures des pires », résume Lucie Pinson. En clair, les banques françaises sont en bonne place dans le classement des plus gros financeurs des énergies fossiles, mais deux d’entre elles ont annoncé les meilleures résolutions prises à ce jour sur le charbon. « Reste à savoir si elles vont être suivies d’effets au lendemain de la COP21 », met en garde Yann Louvel, de BankTrack. Salués par les ONG, ces engagements sont à géométrie variable. Décryptage.
Mines ou centrales ?
Le sevrage se fait pas à pas. D’abord : lever le pied sur les activités d’extraction. En mai dernier, le Crédit agricole a ouvert la voie, annonçant sa décision « de ne plus financer les projets de mines de charbon ni les exploitants spécialisés dans cette activité ». En septembre, l’annonce est élargie à l’exploitation : la banque ne financera plus la construction de centrales thermiques. Le 15 octobre, Natixis, filiale de BPCE (organe central commun aux banques populaires et aux Caisses d’épargne), s’en prend directement aux deux activités : elle ne financera ni la sortie de terre du charbon ni sa combustion.
Financement direct ou indirect ?
Arrêter d’investir dans les projets ou arrêter d’investir dans les sociétés qui portent ces projets ? Selon l’engagement, l’impact est très différent. Les deux banques françaises Natixis et Crédit agricole ont chacune décidé de ne plus financer directement aucun projet. Concernant les investissements indirects, les soutiens aux sociétés par prêts, actions ou obligations, Natixis arrête de financer les sociétés pour qui le charbon représente plus de 50% de l’activité. Cela n’empêche pas des gros exploitants comme Anglo American de passer entre les mailles du filet.
Pays développés ou monde entier ?
Le dernier bémol concerne les engagements du Crédit agricole. Quand la banque annonce arrêter de financer les projets de centrales à charbon, sa promesse ne concerne que les pays à hauts revenus. « Soit 12% du marché du charbon », souligne Lucie Pinson. Avec cette règle, la centrale de Mundra en Inde – et ses 30 millions de tonnes de CO2 – ne serait pas concernée.
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