Samedi 17 octobre :
10h. Nottingham. Sur le site internet du Climate Camp – une organisation vouée à agir contre le changement climatique - la consigne était claire. Les “footers” et les “bikers” (les “marcheurs” et les “cyclistes”) se retrouveront à la gare. Ils seront équipés de boussoles et de cartes, de vêtements chauds et de vivres. Ils auront inscrit dans le creux de leur bras le numéro d’un service d’avocats d’urgence, effacé le répertoire de leurs téléphones. A la descente du train de Londres, ils sont facilement repérables. Il suffit de suivre les sacs à dos et les toiles de tente, les paniers de pic-nique et les banderoles. Par ici la sortie. Devant la gare, un groupe de cyclistes attend le reste des troupes sur des vélos bariolés. On se retrouve et on s’embrasse. On attend la suite des opérations.
10h20. Les téléphones vibrent en cœur. C’est le premier texto : “Prenez le train pour East Midland Parkway à 10h28, 10h32, 11h28 ou 11h32”. Avant la journée d’action, chaque manifestant s’est inscrit sur le site du Climate Camp pour recevoir les consignes par téléphone. On se croirait dans une immense chasse au trésor, avec, en ligne de mire : la salle des machines, dans le ventre de la centrale. Qui parviendra à y pénétrer ? En attendant, les allées du train bruissent de babillements incessants. Un homme, dreadlocks et allure débraillée, se prépare à enfiler son costume d’épouvantail. Derrière la vitre, la centrale de l’Allemand E.ON, le plus grand groupe énergétique du monde, fait son entrée : un chapelet de cheminées grises imposantes, du béton et des barbelés partout. Ça hue dans le wagon.
11h00. Certains peignent des banderoles, d’autres jouent du banjo. On se souvient des dernières batailles : “Tu y étais toi à Kingsnorth ?”, questionne un jeune homme. En 2008, le mouvement avait pris d’assaut les bâtiments d’E.ON pour protester contre la construction d’une nouvelle centrale à charbon, un projet abandonné quelques mois plus tard. Tom, un grand blond un peu hippie, se verse du thé depuis son thermos. Il aimerait bien rejoindre les “swoopers” (les “envahisseurs”), un groupe plus musclé d’activistes chargés d’entrer dans l’usine par tous les moyens. Avec un étudiant photographe, on se lance sur la route. C’est trop mou ici.
11h45. On suit l’enceinte de la centrale. Il y a des barbelés et des panneaux “danger” partout. On croise des policiers en uniformes fluorescents. On se dit bonjour d’un hochement timide. Tout à l’heure, il faudra les affronter. Sur le bord de la route, une activiste cagoulée mange un sandwich, entourée de deux bobbies. “Vous voyez, j’ai de la compagnie”, s’amuse-t-elle. Devant l’entrée principale on croise le responsable média et un observateur légal. Ces derniers sont chargés de noter les éventuelles bavures policières pour témoigner au besoin. Les deux activistes nous désignent un point sur la carte. “Les swoopers sont là, dans les bois. A 13h, ils vont tenter une approche de ce côté-là de la centrale, en I17.” On avance.
12h45. Au loin, des fanions se découpent au flanc d’une colline. On court à leur rencontre, comme la meute des photographes et des caméras de télévision. Le groupe des cyclistes a revêtu sa tenue de guerre : masques d’animaux pour camoufler les visages, capes multicolores, ils avancent au son d’une sono posée sur un chariot. Plus loin, Tom s’agite. Il a aperçu les couleurs des swoopers. Il y a le groupe des “Take the power” (“Prenez le pouvoir/l’énergie”) dont la mission est de pénétrer dans la salle des machines, il y a les ”False Solutions” (“Fausses solutions”) chargés de grimper sur l’énorme montagne de charbon qui jouxte l’usine. Ils avancent en rang serré, la main sur l’épaule de leur camarade. Foncent vers l’usine. Derrière, les motos cross des policiers ferment le cortège, devant, les vestes jaune fluo se devinent entre les fourrés.
13h. Les manifestants se sont regroupés derrière les grilles qui scindent l’usine. Face à eux, les bobbies forment une ligne. Les premières barrières sont secouées, timidement. Mais soudain, un groupe de jeunes part à gauche, se rue sur les barrières à quelques mètres de là. La première obstacle cède. Ils tentent d’escalader la seconde. Les policiers tirent les pulls et les chaussures, attrapent les sacs et les cagoules. Les chevaux repoussent les manifestants. Il y a des cris et des ordres lancés. Derrière les barricades, quelques activistes font leur entrée. Ils ont franchi les barbelés un peu plus loin et pavanent, les mains vers le ciel. Certains sont vite interpellés. D’autres s’échappent vers le ventre de la centrale.
13h30. A quelques centaines de mètres de là. Les “Footers” ont installé leur camp devant la porte de l’usine. Il y a de la musique, un petit magasin bio qui cède barres de céréales et gâteaux fait maison contre quelques sous. Quelques uns saisissent un micro, rappellent les enjeux de la bataille contre le charbon. A côté d’eux, les policiers patientent, sereins. Ce groupe là ne présente pas grand danger. Sauf quand il décide d’aller rejoindre l’assaut général. Encadré de bobbies, le cortège avance vers la fameuse case I17. Mais le mot d’ordre est clair : le prochain assaut ne sera qu’à 15h. En attendant, on joue à un drôle de jeu dans lequel le trio “pierre, papier, ciseau” a été remplacé par des elfes et des sorciers qui s’affrontent. C’est un peu étrange, ce calme avant la tempête.
14h30. Nouveau texto : “Un nombre indéterminé d’activistes se trouvent à l’intérieur de l’usine près des tours de refroidissement. Trente personnes bloquent le passage des trains. Les barrières sont abattues ou abîmées au Nord de l’entrée principale et au Sud-Est.” Cris de victoire, les âmes gonflées à bloc pour le prochain assaut. On avance à nouveau vers les grilles. En route, on croise un brancard de fortune. A l’intérieur un quinquagénaire est évanoui, torse nu. Des manifestants le rapatrient vers l’équipe médicale du camp. Plus loin, on retrouve les swoopers, assis en haut d’un champ tandis qu’en contrebas, les troupes policières, les chiens et les chevaux rassemblent leur force avant le prochain assaut.
15h. Deuxième assaut. Ça commence d’un seul coup, sans prévenir. Un groupe dévale la pente en criant, soulevant des nuages de poussière. Ils heurtent les grilles de fer, accrochent des cordes et tirent de toute leur force. Une manifestante grimpe aux grilles, tente de hisser une bannière. Les chiens policiers grondent quelques mètres plus bas. Les autres continuent de tirer. La première grille cède. Il y a comme un mouvement de panique dans les rangs policiers, les casques volent. Derrière l’enceinte, on aperçoit quelques manifestants assis par terre, menottés. En retrait du groupe, l’équipe médicale répare un doigt abîmé, distribue de l’aspirine. Les observateurs légaux prennent des notes sur des calepins. Perché en haut de la grille, un manifestant donne une interview à un cameraman qui hisse son micro à bout de bras. La bataille promet de durer.
19h. Dans le train du retour, on reçoit un nouveau texto : “L’action c’était génial, c’est le moment de camper.” Dans les bois, autour d’un feu, 400 manifestants se réunissent pour se raconter encore et encore leur journée. Quid des malheureux "swoopers" qui passeront la nuit en cellule ? "On les embrasse", précise le texto.
Dimanche 18 octobre :
13h. Les organisateurs sont formels. C’est une “immense réussite”. Près de 1 000 manifestants. Des barrières enfoncées, une occupation de 24 heures. Il y a quelques moins bonnes nouvelles cependant : trois activistes ont été blessés et un autre hospitalisé. 58 personnes arrêtées. Qu’importe. “Nous avons réussi ce que nous voulions : montrer que le charbon n’a pas de futur et qu’un nombre croissant de gens sont prêts à se mobiliser sur le changement climatique”, précise le site internet. E.ON, lui, affirme que la centrale a fonctionné “normalement” pendant le week-end. Les manifestants, eux, pensent déjà au prochain grand rendez-vous : Copenhague.A lire aussi dans Terra eco :
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