La semaine passée à Paris, les méninges étaient en ébullition. 2000 scientifiques venus d’une centaine de pays étaient réunis à l’Unesco et à l’université Pierre et Marie Curie autour d’une préoccupation : préparer « notre avenir commun sous le changement climatique ». Ce forum de quatre jours était le dernier de cette ampleur avant la COP21, le sommet onusien sur le climat qui se déroulera à Paris en décembre prochain. Hervé Le Treut, climatologue et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) présidait le comité d’organisation de cette conférence internationale. L’occasion de publier, en avance, un extrait du grand entretien à paraître dans le numéro de septembre de Terra eco.
Sur la question climatique, quelle doit être aujourd’hui la place des scientifiques ?
Hervé Le Treut : Notre rôle en tant que scientifiques consiste à établir un diagnostic. Ce diagnostic est forcément partiel car le problème climatique n’est plus séparable d’une large série d’autres enjeux : environnementaux, socio-économiques, mais aussi éthiques et culturels. Le Giec a été créé dans l’optique de séparer les facteurs scientifiques des autres facteurs, notamment politiques, pour une mise à plat la plus objective possible du problème. Sa force a tenu et tient encore dans cette attitude chimiquement pure. Cela a permis de dresser un diagnostic d’alerte endossé de manière presque unanime par la communauté scientifique. Aujourd’hui, cette alerte a atteint le grand public et les décideurs. Le problème qui se pose désormais est celui d’une science de l’action. Que fait-on ? Quelle filière énergétique soutient-on ? Comment se fait le partage de l’usage des sols entre agrocarburants, alimentation, maintien de la biodiversité naturelle ? Quelles sont les politiques d’adaptation aux changements à venir ? Ce diagnostic met en jeu des disciplines scientifiques multiples. Si la décision revient aux politiques parce qu’elle implique des critères de justice, d’équité et qu’elle tient compte de ce qui est possible pour chaque pays, les scientifiques doivent rester vigilants. Il nous faut donc créer des interfaces suffisamment fines et réactives entre sciences et société. La conférence qui vient de s’achever à Paris est née de ce souci.
Vous travaillez sur le changement climatique depuis la fin des années 1970. Avez-vous l’impression que le problème est enfin pris à bras-le-corps ?
On a une conscience plus claire de l’enjeu. La tonalité des discussions montre une forme de maturité nouvelle. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’impact des gaz à effet de serre (GES) en 1986, ce n’était pas encore considéré comme un thème majeur. Les climatologues avaient des priorités différentes : les sécheresses terribles en Afrique de l’Ouest, les fluctuations des moussons, les problèmes de pollution urbaine. Si les GES sont devenus un enjeu aussi important, c’est parce que les émissions n’ont pas cessé d’augmenter, et que ces gaz se stockent durablement dans l’atmosphère.. Dans les années 1960-1970, on émettait un tiers de ce que l’on émet maintenant. Ce « on » renvoyait alors à 15% - 20% de la population. Aujourd’hui ce « on » désigne beaucoup plus de monde. Personne n’avait anticipé le démarrage absolument foudroyant des économies de l’Asie de l’Est et de la Chine. On a changé d’époque sans s’en rendre compte et de manière extraordinairement rapide. Les première manifestations du phénomène ont entraîné une conscience plus forte. Les nouveaux pays pollueurs sont souvent situés dans les zones les plus vulnérables au changement climatique. Ils ne peuvent pas en ignorer les risques.
Concernant les conséquences, a-t-on atteint un point de non-retour ?
La particularité des gaz à effet de serre, c’est qu’ils s’accumulent et restent très longtemps dans l’atmosphère. Comme nous avons émis très vite des volumes très importants, en termes de hausse des températures, des échéances que l’on situait vers la fin du siècle se sont rapprochées. D’une certaine manière, on les a dépassées : on ne peut plus ignorer que des hommes ont vécu sur la planète. On espère limiter le réchauffement à 2°C, mais cela reste un objectif difficile à atteindre.
A-t-on perdu du temps ?
Il y a un décalage entre l’ampleur de l’enjeu et la rapidité de l’action. Pourtant, si l’on a perdu du temps, c’est sur une fenêtre de temps finalement assez courte, je dirais entre les hésitations sur le traité de Kyoto, adopté en 1997, et maintenant. Tous les débats qu’on a eu autour du climato-scepticisme, pour savoir si le problème des gaz à effet de serre était réel, ce sont des débats qui ont retardé le moment où l’on s’interroge sur ce qu’on peut faire et comment on peut le faire. Il y a eu, de manière évidente, des lobbies. On les connaît. C’est souvent une forme de refus de voir le monde évoluer. Nous acceptons difficilement d’être mortels, nous acceptons difficilement que les choses changent, nous sommes tous comme ça. Le problème aujourd’hui n’est pas de savoir qui a mal agi mais plutôt quelles sont les solutions devant nous pour limiter les risques.
Celles-ci existent donc ?
Il y a beaucoup de solutions à notre portée. Par exemple : augmenter la part des énergies renouvelables, diminuer le gaspillage d’énergie. Il y a aussi beaucoup de domaines dans lesquels on peut s’adapter préventivement. Pour moi, il y a deux dangers majeurs : la perte de biodiversité, impossible à reconstituer, et le risque de conflit. Selon que l’on affronte bien ou mal ces risques, que l’on se prenne en main ou non, l’image du futur n’est pas la même. De ce point de vue, je crois beaucoup aux échelles locales, je crois beaucoup à ce qui peut mettre le citoyen proche des décisions. Pour la nouvelle génération, il y a quelque chose à construire qui peut être vu comme un défi passionnant.
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