Ces derniers jours, le courant a déjà sauté dans près de 600 000 foyers français, la faute aux appareils de mesure de la tension et de la puissance du réseau électrique qui ont pris un coup de chaud. Et si le black-out devenait général ? Car si les champs ou les infrastructures ferroviaires souffrent de la chaleur, les centrales nucléaires trinquent aussi en cas de canicule. Monique Sené est physicienne et présidente du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (Gsien).
Terra eco : Que risquent les centrales nucléaires avec les épisodes de canicule ?
Monique Sené : Tout dépend des réacteurs et de l’eau qui permet de les refroidir. Certains ont une prise directe et vont pomper entre 40 et 45 mètres cubes d’eau par seconde. D’autres disposent d’une tour de refroidissement et pompent donc moins d’eau dans les rivières pour fonctionner, disons de l’ordre de deux mètres cubes par seconde, pas plus. Le premier problème lors des canicules, c’est que l’eau pompée par les centrales soit trop chaude. Si elle dépasse les 28°C, elle ne peut plus être utilisée pour le refroidissement. Le deuxième risque, c’est que le cours des fleuves soit trop bas. C’est souvent le cas avec la Vienne, par exemple. Sous un certain niveau, les centrales ne peuvent plus prélever d’eau, au risque d’assécher les cours. Enfin, le troisième problème concerne plutôt l’après-production. Les centrales rejettent des effluents radioactifs. En dessous d’un certain débit, elles n’ont plus le droit de les disperser et doivent les stocker en attendant que le niveau du fleuve remonte. Sauf que ce stockage n’est pas illimité dans le temps, ce qui poserait problème si la canicule venait à durer.
Est-ce que l’on a déjà connu ce genre de cas ?
Non, nous n’avons jamais connu de gros incidents à cause de la chaleur. A Fessenheim (Haut-Rhin), en 2003, l’eau a atteint les 30°C sur les bords du Grand Canal d’Alsace. L’eau plus profonde était plus fraiche, donc elle pouvait toujours être utilisée, mais c’était limite. La Garonne aussi a atteint les 30°C cette année-là. La centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) a même obtenu une dérogation pour continuer à produire, mais en quantité restreinte.
Est-ce que ces trois problèmes sont liés à un manque d’anticipation ?
Pas vraiment. Les centrales ont été conçues pour fonctionner entre -15°C et +30°C. On ne pouvait pas savoir que l’on serait de plus en plus régulièrement amenés à dépasser cette température. Mais il y a toujours des solutions de secours. On peut, par exemple, ouvrir un barrage en amont d’une centrale pour renflouer ou refroidir un cours d’eau, par exemple.
Et si cela ne suffit pas, c’est l’arrêt de la production ?
Exactement. L’enjeu n’est pas tant en termes de sécurité pour les centrales, mais plutôt en termes d’approvisionnement. Avec la canicule, les centrales risquent de ne plus pouvoir produire. Le problème, c’est que l’on a besoin de cette électricité. L’été, on s’éclaire et on se chauffe moins, mais il faut de l’électricité pour les climatisations. Et puis, il faudra toujours assurer un minimum de production pour les hôpitaux, par exemple. Notre problème, c’est que l’on dépend à 75% du nucléaire. Nous n’avons pas assez d’éolien, de photovoltaïque ou de géothermie pour tenir en cas d’arrêt des centrales. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la loi sur la transition énergétique : ne plus dépendre d’une seule source d’énergie.
Si les canicules venaient à se multiplier à l’avenir, qu’est-ce que l’on pourrait faire ?
Les centrales qui sont en bord de mer, comme Gravelines (Nord), Paluel (Seine-Maritime), Flamanville (Manche) ou Le Blayais (Gironde) sont moins vulnérables à la chaleur. Après, il faudrait réfléchir à de nouvelles méthodes de refroidissement et de stockage, mais les travaux d’analyse en termes de possibilités et de coûts sont loin d’être terminés. Compte tenu du vieillissement des installations, je pense qu’à partir du moment où la centrale a atteint sa limite de fonctionnement il est bon de l’arrêter au lieu d’essayer de prolonger sa production à tout prix. A nous ensuite de réduire l’importance du nucléaire. Passer sous la barre des 50% serait déjà une bonne étape.
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