Parler de « triomphe d’une utopie » et de « révolution des temps libres » peut sembler paradoxal, voire provocateur, à l’heure des taux de chômage records ou des débats sur le travail du dimanche. Pourtant, le travail n’occupe plus, en France, que 10% à 12% d’une vie éveillée, contre 70% il y a un siècle. Repos hebdomadaire, congés payés, RTT, retraite à 60 ans sont passés par là, note Jean Viard. Vacances, voyages et loisirs, souvent considérés comme objets scientifiques « légers », « un peu comme un sexologue dans une réunion d’industriels », écrit-il, « ne sont plus un “ à-côté ” de nos vies mais un moteur de nos projets et de nos désirs ». Dans cet essai, le sociologue décrit cette bascule de temps libres sédentaires, dictés par la religion (jours fériés) ou les saisons (moissons d’été), à notre époque urbaine, nomade, mondialisée, accro au numérique.
Ainsi, le tourisme était un exutoire d’aristocrates rendus oisifs par la perte du pouvoir politique et l’ascension économique de la bourgeoisie et qui passaient une partie de l’année sur la Côte d’Azur, une autre en Savoie. Il a façonné notre goût pour la nage ou la glisse et est « en train de réorganiser l’espace productif de nos sociétés en favorisant les lieux qu’il a désignés comme désirables ». Sans les vacances, ses envies de nature et de barbecues, impossible de comprendre pourquoi, au XXIe siècle, la population rurale est dans certaines régions « deux fois plus nombreuse qu’à l’apogée démographique » et croît par endroits « deux fois plus vite que celle des villes ». Et ce n’est pas que le fait de pauvres périurbains : « La carte des résidences secondaires en France recoupe de très près celle des créations d’entreprises », comme à Nantes, Bordeaux ou Nice, martèle Viard.
Bricoler et faire l’amour
Il annonce une « civilisation du temps libre productif », façonnant de nouvelles valeurs culturelles (bronzer, bricoler, courir, faire l’amour…) et des voyages représentant « la face humaine de la mondialisation ». On doit donc veiller à y inclure la part croissante des Français qui ne partent pas en vacances. En revanche, si Viard déplore que n’étant « plus le territoire de personne », le local voie le pouvoir lui échapper (Etat, aménageurs), il interroge peu d’effets négatifs du « bougisme ». Il ne cite jamais l’impact sur le climat causé par les transports, premier secteur émetteur de CO2 en France, et croit que la démocratisation du tourisme « bouleversera nos techniques et nos pratiques – avions moins polluants, voyages plus rares et plus longs, plus maritimes ». Autre critique, dont Viard se charge lui-même : son livre est très « occidentalo, voire franco-centré ». Mais l’exemple de l’Hexagone, seul pays (avec la Thaïlande) à attirer plus de visiteurs (80 millions) qu’il n’a d’habitants et à s’accrocher aux 35 heures, est éclairant. —
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