« Je veux une réduction du temps de travail à 32 heures avec un vrai salaire », a lancé Philippe Martinez, le 10 février, lors d’un rassemblement contre la loi Macron (1). Lubie pour faire parler de lui ? Sincère revendication aux relents passéistes ? Le leader de la CGT évoque une proposition « moderne », rappelant que « l’histoire du mouvement ouvrier, du combat des salariés, va vers une réduction du temps de travail ». L’argumentaire est à contre-courant, alors que le Medef (Mouvement des entreprises de France, syndicat patronal) est plus que jamais déterminé à remettre en question les 35 heures… et le gouvernement, prompt à plier.
Pourtant, des économistes hétérodoxes en font la promotion sous différents slogans : les « 32 heures » dans une tribune publiée par Libération en 2011, la « semaine de quatre jours » ou la « retraite tout au long de la vie » avec six mois sabbatiques tous les cinq ans. Jean Gadrey, que l’on associe à la sphère dite « décroissante », est convaincu que la croissance française ne va pas repartir de sitôt : « Sa quête éperdue n’a pas abouti aux résultats voulus, mais à un chômage de masse », soit 5,9 millions de personnes toutes catégories confondues au mois de mars dernier. La répartition du travail existe donc déjà entre les actifs et les chômeurs, les temps pleins et les temps partiels subis. Pour cet économiste, une meilleure répartition du travail est « indispensable » pour créer des emplois sans croissance. Preuve en est que la précédente transformation, les 35 heures, avait permis 350 000 créations d’emploi de 1997 à 2002, selon l’Insee.
Deux partis dans la partie
Ces idées ne sont pas nouvelles. La semaine de quatre jours a été conçue en 1993 par le jeune économiste Pierre Larrouturou, comme une méthode, certes décalée, pour combattre le chômage passé au-dessus de la barre des 3 millions de personnes. Larrouturou a même réussi à convaincre le député UDF Gilles de Robien de défendre une loi d’aménagement du temps de travail en 1996. Pour inciter les entreprises à tester le dispositif innovant, la loi Robien offrait une exonération de cotisations sociales de 8% aux entreprises, à la condition d’embaucher au moins 10% de salariés supplémentaires en CDI. Avant d’être annulée par les lois Aubry.
Depuis la mise en place des 35 heures, régulièrement critiquées, le sujet de la réduction du temps de travail a du mal à passer politiquement. Deux partis de gauche portent malgré tout cette revendication dans leurs programmes. Pour Europe Ecologie - Les Verts (EELV), c’est un des « fondements de l’écologie politique ». « Les 32 heures augmenteraient le temps libre de chacun et auraient un impact positif sur le niveau de stress. Elles favoriseraient l’accès à la culture, l’investissement associatif, voire un autre mode de consommation », détaille David Cormand, le secrétaire national adjoint du parti. Une manière de ralentir. Nouvelle Donne, justement fondé par Pierre Larrouturou, insiste sur une journée libre par semaine, « visible et régulière pour améliorer la qualité de vie des employés ». Au Parti socialiste (PS), la députée Barbara Romagnan, auteure d’un rapport parlementaire « sur l’impact sociétal, économique et financier des 35 heures », réfléchit aux conditions de faisabilité d’une nouvelle réduction du temps de travail, mais regrette qu’elle n’ait « même pas le droit d’en discuter au PS… »
Bosser moins ? « C’est mal vu »
Cette mesure ambitieuse est-elle réalisable à grande échelle ? Aucun pays n’a encore fait des 32 heures sa durée légale du travail, mais les exemples de sociétés avant-gardistes fleurissent. A Portland, aux Etats-Unis, le patron d’une petite start-up de cours de code en ligne, Treehouse, refuse de travailler le vendredi, pour passer du temps en famille. Ses salariés sont traités au même régime et s’affirment « plus productifs » ainsi. En Allemagne, le constructeur Volkswagen a appliqué les 32 heures pendant un temps, en échange d’une baisse des salaires de 20%.
Une fois ces bases posées, généraliser la semaine de quatre jours semble possible. En France, 400 entreprises ont testé la formule, le temps de la loi Robien. Des sociétés comme Fleury Michon, Mamie Nova et Télérama appliquent toujours les 32 heures. Malgré un bilan positif, elles sont peu enclines à témoigner. « Un entrepreneur qui parle de travailler moins, c’est mal vu », confie-t-on. Une étude du ministère du Travail datant de la fin des années 1990 avait calculé, à partir de ces exemples, que la généralisation de la semaine de quatre jours pourrait créer 1,6 million d’emplois en CDI à temps plein.
Vases communicants
Qu’est-ce que cela coûterait ? Pas grand-chose pour l’Etat, selon les calculs du même Larrouturou. « Il faudrait piocher dans les fonds de l’Unédic, mais ce serait compensé par la baisse des allocations chômage à verser. C’est un système de vases communicants », explique-t-il. Les entreprises peuvent s’en tirer à bon compte « tant qu’elles n’augmentent pas leurs coûts de production, d’autant que la France est un des pays au monde qui a la meilleure productivité ». Certains cobayes de la loi Robien ont dû geler les salaires pendant dix-huit mois, ou baisser de 2% ceux supérieurs au Smic pour ne pas augmenter d’un seul coup le coût du travail.
Plus libéral, le chef économiste de Natixis Patrick Artus a testé le bouclage de la formule Larrouturou. Le dispositif préserve « le potentiel de production de la France, la stabilité des coûts, la stabilité ou la hausse du revenu disponible des ménages et n’aggrave pas le déficit public », selon le magazine Option Finance du 15 novembre 1993. Joli bilan comptable.
Au doigt mouillé, on peut s’essayer à une autre estimation : a priori, le passage aux 32 heures devrait coûter à peu près autant que celui aux 35 heures, soit entre 11 et 13 milliards d’euros par an, d’après la Direction du budget. L’addition, en apparence salée, peut être relativisée. D’abord, par le gain pour les salariés. Lors des auditions pour son rapport, Barbara Romagnan a rappelé à des économistes zélés qu’ils oubliaient « les bénéfices du temps libre, qu’on ne peut pas quantifier ». Ensuite, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a procédé à un calcul « net » du coût des 35 heures qui déduit les économies réalisées par l’assurance-chômage du coût total. Résultat ? L’Etat n’a, finalement, déboursé « que » 2,5 milliards d’euros par an, bien au-dessous des 41 milliards du Pacte de responsabilité et du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. N’est-il pas temps d’envisager cette autre piste ? Interrogé lors de ses vœux à la presse de 2015, le ministre du Travail François Rebsamen lâche discrètement : « Peut-être, mais on n’en parle pas trop fort, on ne voudrait pas fâcher le patronat ! » —
(1) Projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, porté par le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron.
Le parti écolo passe de la théorie à la pratique
Chez EELV, les 32 heures sont une réalité pour les 15 salariés du siège parisien. Faciles à mettre en place pour les emplois administratifs dont la charge de travail est quantifiable, moins pour les postes de conseillers politiques. « Quand l’actualité impose un surcroît de travail imprévisible, ils emmagasinent un nombre important d’heures supplémentaires. On finit par les leur payer, car ils n’arrivent pas à prendre toutes leurs récup, explique David Cormand, le secrétaire national adjoint du parti. Mais ces difficultés sont structurelles dans l’activité politique. »
Pour aller plus loin
Le blog de Pierre Larrouturou
Le blog de Barbara Romagnan
Observatoire français des conjonctures économiques
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