C’est une équation à plusieurs inconnues, et au résultat incertain. Le projet de loi sur la transition énergétique porté par Ségolène Royal et actuellement en discussion à l’Assemblée nationale ne mentionne ni l’obligation d’arrêter des réacteurs nucléaires ni, a fortiori, celle de fermer des centrales. Pourtant, le projet prévoit le « plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire » (article 55) qui est de 63,2 gigawatts (GW). Or, la centrale EPR de Flamanville, dans la Manche – censée entrer en fonctionnement en 2016 – va apporter une puissance complémentaire de 1600 mégawatts (MW), soit 1,6 GW. Comment, dans ces conditions, ne pas dépasser le plafond ?
Une simple soustraction ?
Le plus simple serait d’effectuer une banale soustraction : 63,2 + 1,6 - 2 réacteurs de 900 MW environ = on rentre dans les clous du texte de loi dès 2016. Voilà qui est a priori d’autant plus facile à résoudre que la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, d’une capacité installée de 880 MW chacun, était une promesse de campagne de François Hollande (la n°41). Mais l’arrêt pourrait aussi concerner d’autres réacteurs que ceux de la centrale alsacienne. La ministre de l’Ecologie a en effet déclaré sur France Inter mardi 30 septembre que « [sa] préférence va vers la fermeture de réacteurs sur un site où il y a plus de deux réacteurs, parce que cela évite la fermeture complète d’un site industriel ».
Il existe une troisième solution, dont on ne sait si elle émane d’EDF – qui reste muette « tant que le travail parlementaire bat son plein » –, d’Areva, ou d’ « individus indépendants », comme les appelle de manière volontairement floue Bertrand Barré, ancien directeur des réacteurs nucléaires au Commissariat à l’énergie atomique et ancien conseiller scientifique d’Areva. Cette solution, que ce désormais retraité fait sienne et qu’il dit être « celle de moindre regret », est arrivée aux oreilles de plusieurs politiques et ONG.
Baisser la production pour éviter la fermeture
La voici : dans l’hypothèse où le plafonnement à 63,2 GW serait voté, on pourrait très bien ne fermer aucune centrale et se contenter d’acter, par un texte administratif, que la capacité de production des réacteurs doit être réduite. En clair, « les installations physiques resteront identiques, mais on ne les autorisera pas à fonctionner à pleine puissance », explique Bertrand Barré. Il poursuit : « Cette décision de passer par exemple d’une capacité de production (ce qu’on appelle aussi la puissance installée, ndlr) de 900 MW par réacteur à une autorisation de production de, mettons, 860 MW maximum permettrait, sans poser aucun problème technique, de retarder la décision de démantèlement. » Car la durée de vie des réacteurs s’en trouverait prolongée.
En effet, comme l’explique Monique Sené, présidente du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (indépendant), « ce qui compte ce n’est pas tant la durée de fonctionnement que le nombre de neutrons reçu par l’acier de la cuve. Les réacteurs de 900 MW ont été conçus pour fonctionner trente-deux années, à 80% du temps et à pleine puissance. Si vous baissez le temps de fonctionnement à 60%, et diminuez la puissance et donc l’irradiation de l’acier par les neutrons, vous augmentez la durée de vie du réacteur ». Comme Bertrand Barré, la physicienne, pourtant très prudente sur le sujet de la sécurité des centrales, estime que cette solution « éviterait d’avoir à supprimer de nombreux emplois de manière brutale ». Et ajoute que cela « permettrait de bien préparer la transition vers plus de renouvelables ».
Des ONG environnementales très étonnées
Du côté des ONG, on s’étonne de cette proposition qu’on pense venir tout droit des principaux acteurs dans ce dossier, à savoir EDF et, indirectement, Areva. A vrai dire, elle fait même carrément pouffer Marc Jedliczka, vice-président du Cler, Réseau pour la transition énergétique. « C’est d’un ridicule achevé ! Ce que je comprends de la psychologie de certaines personnes, c’est que les molécules de leur cerveau les empêchent d’admettre qu’une centrale puisse fermer. » Même raillerie indignée du côté de France Nature Environnement, dont la chargée du dossier énergies, Maryse Arditi, a « déjà entendu Proglio (le patron d’EDF, ndlr) dire quelque chose du même genre : on ne ferme pas de centrales mais on diminue leur production ». « C’est débile, ça n’a aucun sens !, s’exclame-t-elle. D’une part parce que les réacteurs fonctionnent déjà, en moyenne, à 73% de leur disponibilité, ce qui montre bien qu’on pourrait produire la même quantité d’énergie avec 15 réacteurs de moins à condition d’augmenter leur productivité. D’autre part, parce qu’on ne diminue en rien les risques liés à des centrales vieillissantes. Enfin parce que baisser la production n’est pas la même chose que diminuer la puissance installée, qui est celle à laquelle le texte de loi fait référence. »
Une proposition qui ferait craindre pour la sûreté
Du côté de Greenpeace, même consternation : « On ne peut pas faire passer un réacteur de 900 MW à 450 MW de capacité », explique Cyrille Cormier, chargé de campagne énergie et climat. En effet, la cuve n’est pas changeable, quoi qu’il arrive. « De plus, l’Autorité de sûreté nucléaire recommande de ne pas trop faire de yoyo avec la production, car la variation de chaleur que ces changements impliquent dans le réacteur entraîne un vieillissement prématuré de la cuve, ce qui peut avoir un impact sur la sûreté. »
A cela, ajoutons que le coût économique de cette mesure serait très important : brider un réacteur pour qu’il produise moins nécessite autant de main-d’œuvre que quand il est en pleine capacité, et entraîne donc une baisse notable de rentabilité. « Alors même qu’un réacteur coûte presque aussi cher quand il produit que quand il ne produit pas », précise Yves Marignac, consultant dans le domaine du nucléaire pour Wise France. Au non-sens économique s’ajoute, selon lui, un faux argument social : « Certes, on ne veut pas fermer les centrales pour éviter un impact brutal sur les emplois. Mais la pyramide des âges des salariés est la même que celle des centrales où ils travaillent, c’est-à-dire globalement proche de la retraite. Donc, du point de vue de l’emploi, c’est le bon moment pour arrêter des réacteurs. » Reste à savoir lesquels.
Une vingtaine de centrales à fermer
Le texte de loi pose comme autre objectif une baisse du poids du nucléaire dans le mix électrique de 2025 : dans dix ans, le courant issu de l’atome devra représenter 50% de la production globale d’électricité, contre 75% actuellement. Ce qui, à un niveau de production d’électricité constant, impliquerait la fermeture d’une vingtaine de réacteurs sur les 58 actuellement en fonctionnement.
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