Bruno Grelier est un OPNI. Cet objet patronal non identifié dirige La Contemporaine, une imprimerie nantaise dont les 23 collaborateurs, de la standardiste au pédégé, touchent le même salaire. Au centime d’euro près. Non, il ne vient pas d’une autre galaxie. Le capitaine Grelier travaille simplement dans une société coopérative ouvrière de production.
Drôles de boîtes que ces "scops", qui répartissent équitablement les profits et partagent le pouvoir en vertu du principe "une personne, une voix". La coopérative ouvrière appartient en effet aux salariés, lesquels détiennent chacun une parcelle de l’entreprise. "Tout collaborateur peut devenir sociétaire, généralement après un an d’ancienneté", explique Pierre Liret, directeur de la communication de la confédération générale des scops. Pour accéder à ce statut, il suffit d’acquérir une part de capital. Le nombre de parts est plafonné, de façon à éviter qu’un ou plusieurs salariés ne prennent à eux seuls le contrôle de l’entreprise.
Pédégé remplacé dans trois ans
La Contemporaine fixe par exemple la limite à trois mois de salaire. Du côté de l’emblématique groupe Chèque-déjeuner, impossible de détenir plus de 975 parts d’une valeur de 16 euros (soit un maximum de 15.600 euros). Suprême privilège : les sociétaires élisent le patron en assemblée générale. "J’ai été élu PDG pour trois ans, à la fin de mon mandat, je serai remplacé par un autre sociétaire tout aussi compétent que moi", affirme Bruno Grelier.Les salariés des scops sont aussi bien lotis en matière de rémunération. Sans aller aussi loin que La Contemporaine, l’échelle des salaires varie du simple au triple. Un ratio très faible comparé aux entreprises classiques. Par ailleurs, les coopérants perçoivent en moyenne 45% des bénéfices sous forme de participation. A quoi s’ajoutent 10% versés aux sociétaires au titre de la rémunération du capital : les fameux dividendes. Les 45% restants étant affectés à une "réserve impartageable" qui sert à financer le développement de l’entreprise. Chèque-déjeuner paye ainsi une participation identique à tous les salariés : 8.000 euros par an en moyenne au cours des dernières années...
Pérenniser l’emploi
Preuve qu’ont peut "faire du social" et obtenir de bons résultats économiques. Les coopératives ouvrières affichent d’ailleurs une santé à faire pâlir d’envie certaines stars déclinantes du Cac 40. Selon une étude récente de la confédération générale des scops, en dix ans, le chiffre d’affaires par salarié est passé de 75.000 euros à 92.000 euros. Dans le même intervalle, le capital social moyen détenu par chaque collaborateur a progressé de 50%. "Les scops récoltent les fruits d’une politique visant à pérenniser l’activité et l’emploi", souligne Pierre Liret. Sous-entendu : plutôt que de se focaliser sur la recherche du profit à court terme dictée par les actionnaires. Il faut reconnaître que "les salariés des scops sont aussi actionnaires et vice-versa", précise Jean-François Bernard, patron d’Idéoscope, une agence de communication située à Mortagne-au-Perche, dans l’Orne.Reste que si elles se développent, les scops continuent d’occuper une place marginale au sein de l’économie française. Fin octobre 2003, la France comptait 1.577 coopératives regroupant 35.000 salariés. Une goutte d’eau. A quelques exceptions près, les scops sont des entreprises de petite taille, voire des "TPE" de moins de dix salariés. Avec ses 247 salariés, Chèque-déjeuner fait figure de mastodonte du secteur... Le prix de l’indépendance ? De nombreuses scops souffrent d’une insuffisance chronique de fonds propres préjudiciable à leur croissance. Facteur aggravant d’après les économistes : le verrouillage du capital, qui découragerait les investisseurs traditionnels. Et ce, en dépit d’une loi adoptée en 1992 permettant aux scops de faire entrer des actionnaires extérieurs jusqu’à 49% du capital et 39% des droits de vote.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions