Un Comité indépendant pour la croissance et le plein emploi. Bigre. Voilà la nouvelle trouvaille d’Arnaud Montebourg, présentée ce mercredi. Sa mission ? Animer le débat économique et suggérer aux oreilles – censément attentives – des instances européennes et françaises des pistes pour rétablir la croissance et remettre les hommes au travail. Aux commandes, cinq économistes de haut vol et d’origines diverses : Joseph Stiglitz l’Américain, Peter Bofinger l’Allemand, Enrico Giovannini l’Italien, Jean-Paul Fitoussi et Philippe Martin, les Français. Cinq économistes mais pas n’importe lesquels. Si trois d’entre eux ont participé aux travaux de la Commission Stiglitz [1] visant à trouver un meilleur outil pour mesurer la richesse que le trop matérialiste PIB, tous partagent une vision essentielle que traduit leur premier avis rendu ce mercredi : c’est l’humain, balayé de la scène par les plans d’austérité, et la durabilité, qui priment. Explications avec Enrico Giovannini, professeur d’économie statistique à l’université de Rome, membre du Club de Rome et ex-ministre du Travail et des Politiques sociales italien, entre autres.
Terra eco : Quelle est votre vision ?
Enrico Giovannini : Dans l’article que nous publions aujourd’hui, nous faisons référence au capital humain. C’est une dimension fondamentale. Il n’y a pas seulement le capital naturel ou économique qui compte et dans lequel il faut investir, il y aussi le capital social à préserver. Nous avions déjà utilisé ce terme au détour de la Commission Stiglitz. Il redevient très important aujourd’hui à cause de la prévalence du chômage et de l’inactivité.
Pourquoi l’a-t-on délaissé selon vous ?
Parce qu’il est difficile à mesurer. Quand j’étais ministre (du Travail italien, ndlr), j’ai poussé la Commission européenne à en faire l’estimation en termes monétaires. Dans le pacte de croissance, il est question de stabilité de l’investissement mais pas de capital humain ! C’est pourtant un facteur fondamental de la croissance à moyen terme. Eurofound a récemment calculé que le chômage des « Neets » (Young people not in employment, education or training, ndlr), en clair les jeunes sans emploi, qui ne sont ni étudiants, ni en formation, coûtait chaque année 153 milliards d’euros à l’Europe. C’est énorme ! Mesurer ce capital humain pourrait permettre d’influencer les politiques. Si la question est délaissée, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un investissement à moyen ou long terme. Or, à cause de la gravité de la crise, on s’est focalisé sur le court terme. La question de l’union bancaire était importante, comme celle de la dette. Mais remettre l’homme au centre du débat permettrait de redonner de la perspective.Quelles sont les pistes possibles pour remettre ce capital humain au centre des politiques ?
On peut évidemment investir davantage dans l’éducation et la formation professionnelle. Par exemple, en Italie, seulement 50% des entreprises font de la formation professionnelle aux employés. Mais ce n’est pas la seule piste possible. On peut aussi améliorer l’efficacité des centres de recherche d’emploi. Les Allemands disposent d’un système informatique très avancé grâce auquel tous les centres de recherche d’emploi dans tous les régions allemandes sont mis en réseau et interagissent fortement avec les associations professionnelles et les entreprises. Cela permet une meilleure identification des postes disponibles dans tout le pays. On peut enfin travailler à améliorer la mobilité entre les pays européens même si c’est une question très difficile.En Europe, le chômage des jeunes atteint près de 25%. Y a-t- il des outils intéressants pour lutter contre ce fléau ?
Le chômage des jeunes, c’est le risque d’une génération perdue. La Commission européenne a publié des données intéressantes qui montrent que la moitié des gens qui ont un travail intérimaire voudraient un emploi permanent. Or, le travail intérimaire touche beaucoup les jeunes qui ne trouvent pas, en début de carrière, un emploi stable. La garantie pour la jeunesse (qui vise à proposer à tous les jeunes une « offre de qualité », emploi, apprentissage, stage ou formation continue, dans les quatre mois suivant la fin de leur scolarité ou la perte de leur emploi, ndlr) est une approche utile mais ce n’est pas LA solution. De toute façon, si l’économie ne redémarre pas, le volume total du travail n’augmentera pas et ce ne sera pas assez pour remettre les gens au travail.La croissance est au centre de ce groupe de travail pourtant, des scientifiques comme Dennis Meadows estime que la croissance infinie dans un monde aux ressources finies n’est pas possible. Vouloir le retour de la croissance à tout prix, est-ce vraiment une bonne chose ?
C’est un débat très complexe. Mais je peux vous en dire deux choses. Avec la crise, malheureusement, on a vu des gens perdre leur travail. Et on a constaté que cette situation ne rendait pas les gens plus heureux qu’avant. Il ne s’agit pas de défendre la croissance pour la croissance mais de donner la possibilité aux gens qui le veulent d’avoir le choix de travailler.
Le deuxième point c’est qu’effectivement, du point de vue environnemental, il faut changer les choses. C’est vrai pour les pays développés comme pour les pays émergents. J’aime beaucoup l’idée d’économie circulaire défendue par le commissaire européen en charge de l’Environnement, Janez Potocnik. Une économie qui ne produirait pas de déchets. Il faut changer de modèle de développement, retourner à une croissance soutenable socialement et environnementalement. Mais changer de système de production prendra du temps.
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