S’il était encore de ce monde, André Gorz (1923-2007) filerait-il chaque mois au kiosque acheter Terra eco ? Il est permis d’en douter. Car c’est peu dire que celui qui fut ingénieur, disciple de Sartre, journaliste et inventeur de l’écologie politique, ne portait pas dans son cœur le concept de développement durable. Et pourquoi donc ? Schématiquement, c’est une question de « bonne » et de « mauvaise » graisses, comme celles dont parlent les diététiciens sur les plateaux télé.
Les partisans du durable pensent que le système capitaliste n’est qu’une graisse, ni bonne ni mauvaise en soi pour les sociétés. Il suffit d’ailleurs d’observer honnêtement son action depuis un siècle pour constater qu’elle a été capable de nous tenir chaud (voir notre opulence tranquille), comme de nous faire friser plusieurs fois l’infarctus (dégâts environnementaux, bulles spéculatives). Même avec la plus mauvaise foi du monde, il est difficile de lui dénier une formidable énergie.
Et si, plutôt que de l’utiliser pour accumuler les 4X4 et les poulets phosphatés, on se servait de cette énergie pour empêcher notre civilisation de s’autodétruire ? Voilà la belle requête – ingénue peut-être ? – des défenseurs du durable. Des fadaises pour Gorz, dont Vers la société libérée nous donne à lire quelques écrits et surtout, nous fait entendre la voix grâce au CD accompagnant le livre.
Grosse liposuccion
Pour André Gorz, c’est la graisse capitaliste en soi qui est mauvaise, car, en quelque sorte, elle nous empêche d’appartenir pleinement à notre corps. La société écologique qu’il soutient consiste donc en « un mouvement des gens pour se réapproprier leur milieu de vie et le soumettre à leurs propres décisions ». En somme, c’est une grosse liposuccion de toutes les graisses – la société de consommation, la pub, la technique, et ce qu’il nomme les « experts » – pour que chacun retrouve sa vraie « culture », c’est-à-dire ce qui construit son identité. Il faut que la société redevienne lisible et compréhensible par les citoyens, que les technologies du quotidien redeviennent simples au point d’être comprises et contrôlables par tous.C’est ici qu’on se permet de tiquer. Croire qu’une telle société est possible, c’est envisager l’homo sapiens comme une créature apte à vouloir moins. Et penser qu’il désire profondément contrôler le monde autour de lui, au point de le rendre sûr comme un jardinet pavillonnaire. Mais qui est vraiment convaincu que c’est ça, « vivre mieux » ? André Gorz, et une poignée de bricoleurs, capables de bidouiller des alternatives dans leur coin. Pour l’homme de la rue, on est plus sceptique. —
André Gorz, Vers la société libérée, Michel Contat, Marie-France Azar, INA et Textuel (2009), 80 p. + 1 CD, 24,90 euros.
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