Où peut-on en Italie dénicher la compilation définitive des Who, découvrir la meilleure sélection de "canzone italiane", mettre la main sur l’œuvre de Jacques Tati en dévédé, ou créer sa bibliothèque idéale à peu de frais ? La réponse se trouve au coin de la rue, dans les kiosques à journaux. Car ceux-ci ne se contentent plus de distribuer la presse, mais proposent aux badauds de s’offrir à prix avantageux toutes sortes de disques, de vidéos mais aussi des romans, des beaux livres ou encore des encyclopédies. Ils pratiquent ce que l’on appelle là-bas la vente jumelée : chaque semaine pour les hebdomadaires, tous les trois jours pour les quotidiens, l’éditeur propose au lecteur d’acquérir son journal plus un "produit culturel" moyennant un surcoût compris entre 4,90 euros (livre) et 9,90 euros (DVD). Dans la pratique, les kiosques ont ainsi réalisé 44% des ventes globales de livres en 2003, mais aussi 56,7% des ventes de vidéos en 2002. Chaque CD vendu avec la presse dépasse les 200.000 exemplaires...
Un succès dû au livre
Evidemment, les kiosquiers - qui voient ici le moyen d’augmenter substantiellement leurs revenus - chantent les louanges des éditeurs de presse et notamment celles de l’instigateur de la vente jumelée "de masse", le quotidien de centre gauche
La Repubblica.
"En 2002, au lancement de notre première série de romans en vente jumelée - les chefs d’œuvre du XXème siècle, nous ne pensions pas dépasser les 80.000 exemplaires, car on disait que les Italiens lisaient peu", explique Stefano Mignanego, directeur des relations extérieures du groupe
Espresso (éditeur du quotidien).
"Quand, au bout de trois jours, nous avons dû effectuer des retirages, nous avons compris que l’opération serait pérenne". Et rentable ! Avec une moyenne de 400.000 ouvrages vendus chaque semaine pendant cinquante semaines, le groupe a engrangé 100 millions d’euros de recettes en 2002 sur cette seule activité. Depuis tous les journaux se sont improvisés éditeurs de biens culturels si bien que les kiosquiers sont obligés de pousser les murs pour stocker tous ces objets du savoir. Pour Roberto Mirandola, directeur marketing des éditions
San Paolo (Famiglia Cristiana), la méthode de vente jumelée est imparable.
"D’abord, il faut parvenir à trouver une série thématique d’ouvrages culturels à vendre régulièrement, sur vingt ou trente semaines. Par exemple, une encyclopédie ou une anthologie musicale. Le public achète les premiers volumes et ensuite se déclenche le mécanisme du collectionneur. Et il faut surtout fixer un prix très attractif".
Vendetta sur la presse
Et pour offrir des prix si bas, les postes de dépenses sont calculés au plus juste. Les droits d’auteur représentent 35 à 40%, les frais de distribution sont fixés à 11%, la marge des kiosques s’élève à 19% et le solde (33%) revient à l’éditeur. Il investit généralement un million d’euros en publicité télévisuelle pour assurer la promotion de sa collection, promotion soutenue par les publi-rédactionnels assurés dans les colonnes de ses journaux.
Seulement, cette "petite cuisine entre amis" n’est pas au goût de tous.
"En librairie, les livres apparaissent chers, le marché du livre de poche a chuté de 30%. Aucun éditeur de livre ne dispose de la force marketing des éditeurs de presse, sans parler du réseau de distribution : 35.000 kiosques contre 3000 librairies !", explique Federico Motta, président de l’association des éditeurs italiens (
AIE). Pour ses confrères de la vidéo et du disque, la priorité majeure est à l’harmonisation des taux de TVA. La fédération de l’industrie musicale italienne (
FIMI) explique le phénomène et enfonce le clou :
"Rappelons qu’un CD jumelé à un journal est taxé à 4%, contre 20% pour un disque vendu dans le commerce, anomalie tout italienne. Si Berlusconi ne crée pas une loi équitable, nous serons bientôt obligés de jumeler nos CD à des revues porno pour les vendre !".
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